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parmi nous, tandis qu’une certaine faveur n’a cessé, à travers tant de changemens et de vicissitudes, de s’attacher à celui de l’empereur Alexandre ? Ce serait mal connaître l’esprit français que d’attribuer uniquement cette espèce d’ingratitude au souvenir pénible des échecs que le duc de Wellington avait fait éprouver à nos armées. Il n’est pas dans notre nature de conserver longtemps de semblables ressentimens. C’est dans le caractère même du héros britannique qu’il faut chercher la solution de ce problème. Doué d’un bon sens énergique, d’une intelligence droite et ferme plutôt que très étendue, d’une raison que les passions n’aveuglaient pas, mais qui n’était pas complètement à l’épreuve des préjugés et des habitudes d’esprit de son pays, juste, consciencieux, inébranlablement et scrupuleusement fidèle aux idées de devoir et d’honneur plutôt que bienveillant et généreux, il eut été difficile qu’il éprouvât beaucoup de sympathie pour la nation française, telle surtout qu’elle lui apparaissait dans ses incessantes révolutions, qu’il jugeât ses défauts avec indulgence, et même qu’il appréciât en elle des qualités d’enthousiasme et d’élan auxquelles rien ne répondait en lui. En réclamant pour la France ce que lui paraissaient demander la justice et la prudence, il obéissait à la voix du devoir et de la politique, mais nullement aux inspirations d’une bienveillance particulière. Il avait d’ailleurs trop de franchise et d’orgueil pour affecter des sentimens qu’il n’éprouvait pas. À la différence de l’empereur Alexandre, qui aimait la popularité, et qui comprenait très bien qu’on gagne le cœur des hommes en flattant leur amour-propre, en leur témoignant de l’estime et de la considération, bien plus encore que par les services qu’on peut leur rendre, le duc de Wellington, satisfait d’avoir accompli ce qu’il considérait comme une obligation morale ou officielle, ne faisait rien pour se concilier l’affection et la reconnaissance de ceux qu’il protégeait le plus efficacement. On aurait pu croire même, en quelques circonstances, qu’il préférait dissimuler ses bons offices, de peur qu’on ne se méprît sur les motifs qui l’avaient fait agir. Jamais homme public ne fut plus loin, en ce sens comme dans tous les autres, des manèges du charlatanisme. L’horreur qu’il en avait le poussait à un excès contraire, celui d’une sécheresse, on pourrait dire d’une rudesse, dont le curieux recueil de ses dépêches porte des traces nombreuses. Si, par exemple, pendant son commandement en Espagne, il rend compte à son gouvernement des précautions multipliées qu’il a prises pour assurer aux prisonniers français les meilleurs traitemens, les soins les plus recherchés, il se hâte d’ajouter, de peur sans doute de paraître courir après les honneurs de la philanthropie, qu’on doit bien penser que son unique but, en prescrivant ces bons traitemens, est d’en procurer de pareils aux prisonniers anglais. Si en France