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Leyde ; il discutait avec eux l’authenticité d’un livre d’Aristote, ou un verset d’un texte hébreu ; c’était le plus ancien de tous, le sage van der Mylen, son appui constant dans les mauvais jours ; c’était Aggée Albada, qu’il avait converti. Une amitié plus éclatante, qui dut adoucir ses épreuves, fut celle de notre Duplessis-Mornay. Ils s’étaient connus dans les négociations relatives au duc d’Anjou. Il y avait entre ces deux hommes tant de ressemblance de caractère et de situation, que le lien n’eut pas de peine à se former : tous deux ministres de deux grands hommes protestans, Henri IV et Guillaume d’Orange ; tous deux destinés à voir tomber leur héros sous un assassinat ; chefs militans de leur église, hommes de plume et d’épée, de croyance surtout, que l’on a appelés les papes du protestantisme ; raides et implacables dans la controverse, déliés et concilians dans les affaires, le premier avec plus d’amertume et de tristesse, le second avec plus de flamme et d’ironie ; également pénétrés de la foi nouvelle ; vrais philosophes évangéliques, celui qui a tout perdu console l’autre de sa bonne fortune. Rien de salutaire pour l’âme comme la correspondance de ces deux sages ; on pourrait former des rares fragmens qui subsistent une sorte d’Epictète chrétien. Marnix écrit à Duplessis-Mornay : « Je n’attends que les occasions ; de les chercher ambitieusement ne me permet mon naturel, mais je les embrasserai avidement quand elles s’offriront. Touchant votre état, j’en ai fort bon espoir à cause que, le voyant désespéré, j’espère que Dieu se souviendra de ses miséricordes ; mais le nôtre me semble en danger, parce que ses ulcères sont cachés, et comme cicatrisés sous les ampoules de la prospérité. »

À cela Duplessis-Mornay répond d’un accent non moins profond et pénétré : « En ces ennuis publics, je ne trouve consolation qu’en la conférence des bons, et entre ceux-là, je vous tiens des meilleurs. Avec tels, j’aime mieux soupirer profondément que rire effusément avec les autres, parce que le plus souvent Dieu se rit de nos ris et au contraire exauce nos gémissemens et nos larmes. En particulier, faites-moi toujours cet honneur de m’aimer, et croyez que je vous honore uniquement. Faites-moi quelquefois part de vos solitudes, car j’estime vos déserts plus fructueux et plus fertiles que nos plus cultivées habitations. De moi, tenez-moi pour un homme noyé dans les sollicitudes de ce temps, mais qui désire nager, s’il est possible, jusqu’aux solitudes. »

Du fond de sa retraite, Marnix ne s’adresse pas seulement à ses amis privés ; il public des épîtres aux rois, aux princes, aux peuples qui continuent le combat pour la foi nouvelle. Cette voix partie de la solitude acquiert une gravité impérieuse qu’on ne lui connaissait pas ; c’est le prêtre qui parle. À ce temps appartient l’Exhortation loyale à ceux des Flandres, du Brabant, du Hainaut, qui gisent encore