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froid sourire, n’est qu’un glorieux, mais incontestable snob. Charles II, en revanche, cynique indulgent et familier, échappe à la dégradante épithète. Il lui en reste à la vérité bien d’autres. Walter Scott fut un snob le jour où, à bord du yacht royal, il laissa son loyalisme s’égarer jusqu’à recueillir comme une relique le gobelet dans lequel avait bu George IV, — snob lui aussi, et d’une assez pauvre espèce. — On voit qu’il en est du snobbisme comme de beaucoup d’autres faiblesses humaines, et qu’on y participe en très bonne compagnie. Le snob est à genoux devant toute suprématie officielle. Thackeray le constate, le déplore… et l’excuse, mais l’excuse vaut qu’on la cite. Il traite de l’influence de la pairie sur le snobbisme :


« Et, s’écrie-t-il, comment en pourrait-il être différemment ? Un homme fait une énorme fortune : il vient en aide à quelque ministre par ses intrigues en parlement, ou bien il gagne une grande bataille, il négocie un traité, ou bien encore il se fait une belle clientèle d’avocat, et empoche des honoraires démesuré, après quoi les honneurs de la magistrature lui sont dévolus. — En pareil cas, le pays le récompense en lui accordant à jamais le coronet armoriai avec plus ou moins de perles, plus ou moins de fleurons, puis un titre, puis un siège de législateur. Voici ce que la nation dit alors à cet homme : « — Votre mérite et vos services sont tels que vos enfans doivent nécessairement régner sur moi, pour leur part et portion. Il se peut bien que votre aîné ne soit qu’un imbécile, mais cela n’importe en rien. Vous m’avez trop bien servi pour que je ne le mette pas en votre lieu et place quand la mort aura vidé vos nobles pantoufles. Si vous êtes pauvre, nous vous octroierons un capital suffisant pour que vous et l’aîné de vos hoirs puissiez à jamais briller et grassement vivre. C’est notre expresse volonté, qu’il y ait en cet heureux pays une race à part, occupant tous les premiers rangs, et s’attribuant le monopole de tous les bénéfices, de tous les emplois, de toutes les bonnes chances, de tous les patronages. Nous ne pouvons faire pairs tous vos chers petits enfans, — ce qui avilirait le titre et encombrerait la salle des séances, — mais vos cadets auront du moins tout ce dont le gouvernement peut disposer. Ils écrémeront les fonctions publiques ; ils seront capitaines et colonels à dix-neuf ans, lorsqu’il y a de pauvres vieux lieutenans à tête chenue qui commandent encore la manœuvre après trente années de harnais. À vingt et un ans, ces chers petits commanderont des navires sur lesquels servent des vétérans qui se battaient bien avant qu’ils ne fussent venus au monde. Et comme nous sommes un peuple éminemment libre, — et afin d’encourager tout citoyen à faire son devoir, — nous dirons à tout homme, en quelque condition qu’il soit né : Devenez très riche, gagnez de gros honoraires, faites de longs discours, remportez des victoires, — et vous, oui, même vous, simple manant, vous passerez dans la caste des privilégiés, et vos enfans régneront sur les nôtres.

« Comment se soustraire au snobbisme, lorsqu’une institution si prodigieuse a été érigée pour assurer son maintien ? etc. »


Ce passage, que nous n’avons point extrait pour son mérite intrinsèque,