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Grignan eut, sur ce point, gain de cause contre les deux prélats. C’est ce qui résulte de la lettre qu’il écrivit le 26 décembre 1673 à Colbert :


« Je me donné l’honneur de vous escrire par le dernier courrier que l’assemblée Mes communautés de cette province m’a accordé une gratiffication de 5,000 livres, comme les années précédentes, et que l’opposition de MM. de Marseille et de Toulon, qui se trouvèrent seuls de leur sentiment, ne put empescher le reste des députés de me donner cette marque de leur bonne volonté et de leur affection. Je pris aussy la liberté de vous envoyer un mémoire des raisons que j’ay de demander cette gratiffication que je n’ay jamais acceptée que sous le bon plaisir du roy. Vous verres, monsieur, par la délibération qui a esté faite sur ce sujet, qu’il n’y a rien qui ayt pu obliger MM. les prélatz à former leur opposition que l’aigreur et l’animosité qu’ils ont contre moy, puisqu’ils n’allèguent point d’autres raisons que celles des années précédentes, comme il est aisé de remarquer par l’extrait des délibérations que je vous envoyé, avant lesquelles ces arrêtz dont ils font tant de bruit ont toujours esté leus en pleine assemblée. Si vous avés la bonté, comme je l’espère, de faire quelque réflexion sur le procédé de ces messieurs et sur les grandes dépenses que je suis nécessité de faire pour soutenir l’éclat de ma charge, j’ose me flatter, monsieur, que vous gousterés mes raisons et que vous ne refuserés pas vostre protection à la personne du monde qui vous honore le plus et qui est avec le plus d’attachement et de respect, etc. »


Cependant, quelques jours après, M. de Grignan reçut l’ordre du roi de faire en sorte de n’avoir plus de démêlés avec les évêques de Marseille et de Toulon. Il répondit aussitôt à Colbert, « avec tout le respect imaginable, » que cela lui serait impossible, si M. de Marseille continuait, comme il l’avait fait jusqu’alors, à le traverser en toute occasion. « J’ay lieu de croire, ajouta-t-il, qu’ayant receu le mesme ordre que moy, il se résoudra de changer de manière, et d’estoufler sincèrement, une fois en sa vie, les mauvaises intentions dont il n’a pu donner que de foibles marques. Pour moi, qui n’ay jamais fait que me deffendre contre ceux qui veulent faire ma charge, vous jugés bien que, n’étant plus attaqué, comme je désire plus que toutes choses de plaire a sa majesté, j’apporteray toute mon application et mes soins à la réunion qu’elle ordonne. » Quoi qu’il en soit, la gratification annuelle de 5,000 livres fut maintenue au comte de Grignan. Il paraît même que Mme de Sévigné la trouvait insuffisante, car ayant appris, en 1673, qu’il était question d’allouer, on ne sait trop dans quel intérêt, la même somme aux consuls de la ville d’Aix, elle écrivit à sa fille ces quelques mots qui révèlent un mystère administratif du temps : « Je voudrais que vous eussiez les 5,000 livres qu’on veut jeter pour corrompre les consuls. »

Outre l’hostilité des évêques de Marseille et de Toulon, le comte de Grignan eut, quelques années après, à craindre celle de l’archevêque