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de Saint-Simon, le seul défaut de Mme de Sévigné, la comtesse de Grignan combattit les idées de son mari et sacrifia la capitale à la province. À peine quelques voyages à Paris vinrent-ils interrompre l’uniformité de leur existence. De graves embarras d’argent la troublèrent d’ailleurs plus d’une fois. Mme de Grignan avait eu en dot 100,000 écus. Cinq ans après son mariage, malgré les conseils de sa mère et du cardinal de Retz, elle crut devoir s’engager pour son mari. « Vous me parlez de cette héroïque signature que vous avez faite pour M. de Grignan, lui écrivit à ce sujet Mme de Sévigné… Il y a de certaines choses, ma fille, que l’on ne conseille point : on expose le fait ; les amis font leur devoir de ne point commettre les intérêts de ceux qu’ils aiment, mais quand on a l’âme parfaitement belle comme vous l’avez, on ne consulte que soi, et l’on fait précisément comme vous avez fait. » Les goûts somptueux du comte de Grignan, les constructions nouvelles qu’il avait entreprises, rendirent successivement d’autres sacrifices indispensables. Son traitement était de 18,000 livres, et il touchait de plus annuellement 5,000 livres de gratification qui lui furent conservées jusqu’à la fin par l’assemblée de Provence. Ce revenu, qui représentait environ 70,000 francs en monnaie actuelle, fut insuffisant ; il fallut d’abord vendre le marquisat de Vénejean. Plus tard, les créanciers étant redevenus plus pressans, M. de Grignan dut leur abandonner jusqu’à son traitement des années 1690 et 1691, et passer deux hivers à Grignan. On comprend quelle dut être à cette nouvelle la désolation de Mme de Sévigné. « Jamais, écrit-elle à sa fille, il ne fut telle dissipation. On est quelquefois dérangé, mais de s’abîmer et de s’enfoncer à perte de vue, c’est ce qui ne devrait point arriver. »

Cependant le comte de Grignan avait eu de Mlle de Sévigné plusieurs enfans. Une de ses filles, Marie-Blanche de Grignan, se fit religieuse et entra aux filles de Sainte-Marie. Le mariage d’une autre fille, Pauline de Grignan, et du marquis Louis-Provence de Grignan, occasionna à leur mère, par suite des embarras qui désespéraient Mme de Sévigné, les plus vives préoccupations. Le marquis de Grignan se maria le premier. « C’était un très galant homme et qui promettait fort, » dit le duc de Saint-Simon, avec qui il avait été élevé. Après bien des hésitations, un mariage d’argent fut jugé nécessaire pour relever le comte de Grignan, de plus en plus obéré. La fille d’un fermier-général, Arnaud de Saint-Amand, fut proposée. Avant de s’arrêter à ce parti extrême, la famille consulta tous les amis. Un des meilleurs et des plus anciens, M. de Coulanges, répondit à Mme de Grignan : « Faites, faites votre mariage ; l’argent justifie tout. Vous avez raison et le public a très grand tort. Chacun sait ses affaires ; l’un a dételé le matin, l’autre l’après-dînée, et quiconque