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amie aimable et solide, une société délicieuse ; mais ce qui est encore bien plus digne de notre admiration que de nos regrets, c’est une femme forte qui a envisagé la mort, dont elle n’a point douté dès les premiers jours de sa maladie, avec une fermeté et une soumission étonnantes. » Environ dix ans après, le 13 août 1705, Mme de Grignan, « beauté vieille et précieuse, dit le duc de Saint Simon, mourut à Marseille fort peu regrettée, quoi qu’en ait dit Mme de Sévigné dans ses lettres, de son mari, de sa famille et des Provençaux. »

Ainsi, malgré son âge, le comte de Grignan survivait à la plupart de ceux avec lesquels sa vie s’était écoulée. On a vu qu’il s’était signalé devant Toulon à l’âge de soixante-quinze ans. À partir de ce moment, aucune particularité ne marque plus sa vie. Tous les ans, il ouvrait l’assemblée des communautés, disposait de son mieux les esprits des députés à se montrer libéraux, et obtenait sans difficulté réelle (il n’y avait plus eu de résistance sérieuse depuis les lettres de cachet de 1673) le don gratuit réclamé par le roi. Cela dura encore ainsi huit ans. En 1715 il était allé, comme à l’ordinaire depuis quarante-cinq ans, ouvrir l’assemblée des communautés à Lambesc. Tout à coup la nouvelle parvint à la cour qu’il était mort. Un article du Journal de Dangeau mentionne le fait en ces termes à la date du « janvier 1715 : « On apprit la mort de M. de Grignan, qui était parti de Lambesc pour aller à Marseille. Il est mort dans une hôtellerie sur le chemin. Il n’a que deux filles de deux mariages différents. L’aînée est la marquise de Vibraye, et la cadette, la marquise de Simiane, qui était toujours auprès de lui et qu’il a avantagée autant qu’il a pu. Il avait quatre-vingt-trois ans. » Le comte de Grignan eut pour successeur, comme lieutenant-général de Provence, le marquis de Simiane, son gendre, qui mourut au bout de deux ans et fut remplacé par son frère. Achevons ce portrait parmi dernier coup de pinceau du duc Saint-Simon, qui avait connu le comte de Grignan et tous les siens. « C’était, dit l’illustre conteur, un grand homme fort bien fait, laid, qui sentait fort ce qu’il était, fort honnête homme, fort poli, fort noble en tout, fort obligeant et universellement estimé, aimé et respecté en Provence, où, à force de manger et de n’être point aidé, il se ruina. »


PIERRE CLEMENT.