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Restait à vaincre le colonel Vuitsch, qui était dans l’île de Kumlinge, à l’est de la grande Åland. Les Russes n’avaient pas été plus habiles ici que dans le reste de l’archipel. Au premier soupçon d’une révolte, ils avaient publié que, si les femmes ne retenaient pas leurs maris chez eux, on les prendrait toutes et on les brûlerait vives dans une grange. Les insurgés rencontrèrent d’ailleurs ici le secours d’une flottille suédoise dont les canons effrayèrent les Russes, pendant que les paysans, dispersés autour de leur camp, les cernaient et les inquiétaient de toutes parts. La principale affaire eut lieu le 10 mai. Vuitsch se rendit, livra son épée et sa cassette, et ordonna à toute la garnison de se rendre. Il s’estima heureux de n’être pas massacré, lui et tous les siens, par ces paysans qu’il croyait maintenant aussi cruels qu’il les avait crus d’abord méprisables. Quelques postes russes se trouvaient encore dans les dernières îles à l’extrémité orientale de l’archipel ; commandés cette fois encore par Gummerus, les paysans se dirigèrent vers l’île de Brandœ, et y complétèrent la délivrance de leur patrie. Gummerus se chargea de conduire les prisonniers de ces derniers combats à Stockholm ; le roi Gustave IV le combla d’honneurs, ainsi que son compatriote Arén. Leur meilleure récompense eût été qu’il se montrât digne de commander à de pareils sujets en secondant avec énergie leurs efforts contre les ennemis de la Suède. On sait au contraire avec quelle insouciance Gustave abandonna la Finlande, au sort de laquelle, celui des Åland était évidemment attaché. Les Åland furent occupées quelques mois après par une armée formidable ; les canons russes se trouvèrent à quelques heures de la côte de Suède, et la redoutable citadelle de Bomarsund s’éleva bientôt comme une menace pour la Baltique et tout le Nord, jusqu’à ce que le pavillon des puissances occidentales vint en revendiquer l’indépendance.

On se demande à présent quel usage les puissances alliées vont faire de leur nouvelle possession. Si l’on veut pressentir avec quelque sûreté ou apprécier avec justesse la réponse que donnera l’avenir, il faut savoir quelle est l’importance de l’archipel îles Åland. Ces îles sont innombrables ; mais quatre-vingts seulement sont habitées, et l’on peut distinguer entre elles trois groupes principaux, celui des Åland proprement dit, celui de Kumlinge, plus à l’est, et celui de Brandœ, tout près de la côte de Finlande. La plus occidentale de ces îles, celle de Signilskœr, est séparée de la côte suédoise par six lieues de mer ouverte, tandis que les plus orientales touchent de très près au littoral opposé. Le passage en Russie sur la glace est donc facile presque tous les hivers, tandis que le passage en Suède est rarement possible. Les îles d’Åland n’offriraient certainement pas les ressources nécessaires à une forte garnison, mais elles se suffisent à peu près à elles-mêmes. L’industrie des petites îles est la pêche, qui est différente pour chaque partie de l’archipel. Ici, à Eckeroe par exemple, c’est la perche et la brème qui sont le plus abondantes. Dans les îles les plus méridionales, la morue se pêche en immense quantité ; mais les habitans en font cuire le foie pour le manger, au lieu d’en extraire l’huile, qui se vendrait si avantageusement dans la pharmacie. La pêche la plus considérable est celle du stroemming, espèce de hareng que les Alandais exportent sur toutes les côtes voisines. Outre la