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politique décidée, il compte sur les incertitudes de la cour de Potsdam pour dissoudre l’union de l’Allemagne. C’est une illusion que les événemens détruiront sans doute, et la Russie, demain comme aujourd’hui, se trouvera en présence des conditions de paix que la France, l’Angleterre et l’Autriche viennent d’adopter comme le résumé des garanties que l’Europe a le droit de revendiquer.

Il est dans la nature de toutes les affaires humaines, une fois qu’elles sont engagées, d’être soumises dans leur marche à une sorte de logique impérieuse. Qu’une question extérieure s’élève, il y a un moment au-delà duquel elle tend sans cesse à s’aggraver ; elle se noue de plus en plus : on vient de le voir dans les affaires d’Orient. Qu’une révolution éclate dans un pays, la veille encore peut-être aurait-on pu la prévenir et changer le cours des choses ; le lendemain il n’est plus temps : on est sous le coup de cette terrible logique révolutionnaire, et on en est à savoir par quelles voies le pays sera ramené à un ordre plus régulier. C’est l’histoire actuelle de l’Espagne. La Péninsule, à beaucoup d’égards, est dans une situation semblable à celle de la France en 1848, et il n’est malheureusement point impossible qu’elle n’ait à passer par les mêmes péripéties. La manière même dont s’est produite cette révolution, ses phases diverses, sont peut-être la meilleure explication de l’état où est tombée la Péninsule. À l’origine, lors de la levée de boucliers du 28 juin, il ne s’agissait, on s’en souvient, que de détruire des influences illégitimes, de rétablir, disait-on, l’empire de la constitution et des lois. Ce qui serait arrivé si la reine eût changé dès cette époque son gouvernement en appelant à elle le chef de l’insurrection, il serait difficile de le dire. Dans tous les cas, c’eût été un pouvoir né de l’insurrection, fondé sur une capitulation de la royauté, et il aurait rencontré sans doute bien des difficultés d’existence ; mais il aurait eu probablement un caractère relativement modéré encore. C’est dans ces conditions qu’éclatait le mouvement de Madrid, et ici qu’on le remarque, ces tristes journées de Madrid ne pouvaient avoir d’autre but que de changer la nature de la révolution, puisque dès ce moment la reine avait consenti à tout. Par le fait, le parti exalté voulait faire acte d’intervention pour avoir sa part dans la victoire, et avoir au besoin la victoire tout entière. Survenait une troisième circonstance : le duc de la Victoire, appelé par la reine à Madrid, tardait huit jours à se rendre à cet appel. Pendant ce temps, Madrid se hérissait de barricades, les forces révolutionnaires s’organisaient, l’esprit de désordre se créait en quelque sorte des citadelles, et voilà comment le nouveau gouvernement qui sortait de là se trouvait tout à coup, après un véritable interrègne, en présence d’une situation aggravée, en face de passions menaçantes qui allaient jusqu’à tout mettre en doute, et d’une anarchie qui s’étendait à l’Espagne entière.

À Madrid, c’est par les excès de la presse, par la violence et les prétentions des clubs, que le désordre s’est manifesté. Dans les provinces, l’anarchie a pris toutes les formes et tous les caractères. Sur une infinité de points, les propriétés et les personnes ont été menacées. À Cadix, chaque jour quelque sédition populaire réclamait le renouvellement de la junte, réputée toujours trop modérée. À Tortosa, des autorités locales ont été assassinées. Dans certaines localités, on distribuait les biens communaux. À Algésiras, on faisait beaucoup