Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1090

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aient de bonne heure une profession. Quand l’incertitude de la conscience et de la raison se joint à l’oisiveté de la vie, tout l’homme est en péril. Les devoirs de la profession contiennent le jeune homme et le règlent. L’homme est plus mauvais dans le monde que dans son état, et dans le salon que dans le cabinet, parce que dans son état il a des règles qu’il connaît, et que dans le monde il n’a que des passions ou des goûts à satisfaire. Les plus honnêtes, j’allais dire les plus habiles, sont ceux qui dans le monde continuent pour ainsi dire la morale de leur état, et qui pensent le soir à ce qu’ils doivent être le matin.

Si le jeune homme doit tâcher de se faire une règle de conduite quand il n’a encore qu’à se conduire lui-même, qu’est-ce donc quand, devenu homme marié et père de famille, il a à conduire sa maison et à faire deux éducations, celle de sa femme et celle de ses enfans ? Celle de sa femme, ai-je dit ! je me hâte de me réfugier derrière la sagesse des anciens, dussé-je laisser croire que les leçons qu’ils donnent à ce sujet ne s’appliquent qu’aux femmes de l’antiquité. La conversation est entre Socrate et Ischomaque, dans l’Economique de Xénophon :


« SOCRATE. — Est-ce loi, Ischomaque, qui as rendu ton épouse capable des soins qui regardent la conduite de sa maison ?

« ISCHOMAQUE. 6— Oui, mais non pas sans avoir sacrifié aux dieux et sans leur avoir demandé pour moi la grâce de bien instruire, pour elle le don de bien apprendre ce qui pouvait contribuer à notre bonheur commun.

« SOCRATE. — Ta femme sacrifiait donc avec toi ? elle mêlait donc ses prières aux tiennes ?

« ISCHOMAQUE. -— Assurément[1]. »


Ainsi, selon la sagesse antique, c’est le mari qui doit faire l’éducation de la femme et lui enseigner ses devoirs ; mais pour que la leçon soit bonne, il faut la commencer par une prière aux dieux. Ces devoirs qui s’enseignent avec l’assistance des dieux sont ceux de la mère de famille et de la femme de ménage ; car Xénophon, qui était un grand capitaine et un grand politique, qui jouait un rôle important dans la Grèce, Xénophon, loin de dédaigner les humbles soins de la vie domestique, en fait sans cesse l’éloge, et je dirais volontiers qu’il en tient école. Il fait l’énumération de tous les soins que devait prendre la femme dans le ménage antique, et non pas, prenons-y bien garde, dans un petit ménage, mais dans une grande fortune, avec de grandes propriétés que le mari surveille au dehors, et dont les récoltes viennent s’amasser dans la maison. C’est la femme qui doit veiller à la conservation et à l’emploi de ces

  1. Xénophon, Économique.