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de ceux-ci pourraient être comparés sans désavantage aux petits maîtres les plus renommés, et il est au moins présumable que les groupes de nature morte peints par François Desportes et par Chardin ne perdraient pas beaucoup au voisinage des toiles de même sorte qu’ont signées Sneyders ou Wenix : mais ne marchandons pas sur ce point. Qu’il soit malaisé de citer parmi les artistes français beaucoup de praticiens aussi habiles que les artistes nés à Anvers ou à Amsterdam, d’accord ; en revanche, n’est-ce pas dans notre école seulement qu’il faut chercher les talens expressément spirituels, les observateurs délicats, les vrais peintres de mœurs ? Où sont les équivalens de Lancret, de Fragonard, de Moreau, et, de notre temps encore, que pourraient opposer les écoles étrangères à ces mille petites scènes de la vie parisienne que retracent chaque jour le pinceau ou le crayon, à ces ingénieuses esquisses qui sont en quelque sorte à la peinture de haut style ce que les proverbes sont aux drames ?

En face de tant de témoignages de forces vives et d’aptitudes particulières, on serait mal venu à prétendre que l’école française n’a qu’une vie factice et une originalité contestable. Rien de moins douteux au contraire que le genre de mérite qui la distingue. Les œuvres de nos grands maîtres à toutes les époques doivent être considérées comme l’expression souveraine de la raison dans l’art, les œuvres de nos peintres secondaires comme l’expression de la sagacité, du tact et de l’esprit. Pour résumer en deux termes extrêmes les caractères de la peinture nationale, on peut dire qu’il serait également difficile de retrouver dans les productions d’aucune école la profonde pensée de Poussin ou la piquante véracité de Charlet.


II

Peut-être est-ce à cette double veine, à ces habitudes de gravité et de finesse que l’art français doit, outre sa valeur morale, son importance et son développement continus. Les traditions sur lesquelles il se fonde, et qui intéressent surtout le bon sens, se perpétuent plus sûrement que les exemples proposés ailleurs à l’enthousiasme. Que l’on parcoure l’histoire des autres écoles, on verra la décadence absolue suivre presque immédiatement la venue des peintres illustres, parce que l’imagination pittoresque, surexcitée par de tels modèles, prétendait se passer du raisonnement. Partout les imitateurs acceptent à titre de principes ce qui n’a été chez les maîtres que la forme d’un sentiment purement personnel ; partout une période d’épuisement est la conséquence directe et comme le châtiment de ce système d’imitation à outrance. Les écoles des Pays-Bas ont à peine survécu à Rubens et à Rembrandt. Un quart de siècle après la mort de ces