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Loin de nous cependant la pensée de chercher à amoindrir la gloire de ce nom si justement célèbre ! Même lorsqu’on n’envisage Jean Cousin que comme peintre, sans tenir compte ni de la science théorique qu’attestent ses écrits, ni de l’habileté de son ciseau, — habileté dont la statue de l’amiral Chabot offre un éclatant témoignage, — le moyen de méconnaître ce qu’un pareil talent a de magistral et de vraiment inspiré ? Il suffit d’examiner le Jugement dernier, que possède le musée du Louvre, pour apprécier le haut mérite d’un artiste à qui l’on ne saurait contester une des premières places parmi les peintres antérieurs à Poussin, mais qu’il n’est pas beaucoup plus juste d’isoler absolument des peintres après lesquels il apparut, ou de confondre, comme on le fait souvent, avec les imitateurs déclarés de la méthode italienne. M. L. de Laborde lui-même semble partager cette opinion ou plutôt, qu’il nous passe le mot, ce préjugé, et l’on a peine à comprendre pourquoi il refuse au peintre du Jugement dernier ce courage de la résistance qu’il accorde, à bon droit d’ailleurs, à Janet. On vit céder, dit-il en parlant de l’influence exercée par l’école de Fontainebleau, « un sculpteur de la trempe de Michel Colombe, un peintre fort et fécond comme Jean Cousin. » C’est trop dire. Que celui-ci ait voulu profiter, surtout vers la fin de sa vie, des exemples importés par les Florentins, rien de plus vrai ; mais il s’en faut que ces exemples l’aient subjugué, et s’il céda, comme le pense M. L. de Laborde, ce fut du moins en faisant bien des réserves. Jean Cousin se distingue de ses devanciers par la largeur, italienne si l’on veut, de l’ordonnance pittoresque : ne faut-il pas reconnaître toutefois que, pour le sentiment et le fond des pensées, il a suivi fidèlement les erremens de notre vieille école ? Est-ce en étudiant la manière pédantesque du Rosso ou la manière fastueuse du Primatice qu’il a dû prendre goût à la sagesse et à la correction du style, à la simplicité de l’expression, à cette sobriété en toutes choses qui recommande ses ouvrages autant pour le moins que la puissance du pinceau ?

Jean Cousin, né à une époque où la peinture sur verre et la miniature n’avaient pas cessé, depuis trois cents ans, d’être pratiquées avec éclat, où le nombre de portraitistes habiles était déjà considérable, Jean Cousin n’est donc ni le premier peintre qui ait illustré l’art de notre pays, ni un talent formé ou radicalement converti par les maîtres venus de Florence. Tout au plus est-il permis de voir en lui un allié de ceux-ci ; mais ses ancêtres sont en France, et, si glorieux que soit le descendant, on ne saurait annuler au profit d’un seul les droits antérieurs de toute la famille. Assigner, suivant la coutume, pour point de départ à notre école l’époque où il commença à travailler, c’est raccourcir de gaieté de cœur un long et très honorable passé, c’est traiter l’histoire de la peinture française comme Boileau