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traitait l’histoire d’un autre art, lorsque, pour mieux célébrer Malherbe, il supprimait d’un trait de plume les titres littéraires de tous les prédécesseurs du poète. Il faut se rappeler en outre que les émaux de Limoges, les tapisseries d’Arras, — avant que l’Artois fût annexé aux possessions de la maison d’Autriche, — popularisaient dans tous les pays de l’Europe les talens de nos peintres et que les Italiens eux-mêmes semblaient reconnaître l’infériorité de leurs propres produits en donnant aux tapisseries historiées le nom générique d’arrazzi, à la peinture en émail la qualification de « procédé français. » Quant aux œuvres de nos miniaturistes et de nos maîtres verriers, elles furent de tout temps fort admirées au-delà des Alpes. Dante, pour rendre hommage à l’habileté d’Oderigi da Gubbio, voit en lui un disciple de « l’art qu’on appelle à Paris enluminure[1], » et Vasari, dans la Vie de Guillaume Marcillat, dit textuellement : « Lorsque le pape Jules II, voulant orner de vitres peintes les fenêtres de son palais, donna l’ordre à Bramante de s’adresser aux plus savans artistes, celui-ci n’ignorait pas que les Français faisaient en ce genre de peinture des choses merveilleuses. » Guillaume et l’un de ses compatriotes, maître Claude, furent donc appelés à Rome non-seulement pour y peindre les verrières du Vatican, mais aussi pour y tenir école et propager les secrets de cet art, qu’ils pratiquaient mieux que personne.

Ainsi, même au temps où l’Italie était le plus en fonds de grands talens, elle recourait, pour certains travaux d’un ordre spécial, à la science et aux leçons des artistes de notre pays. C’est ce que prouvent clairement les noms et les documens recueillis par M. Dussieux. Avant de mentionner Guillaume Marcillat, que, soit dit en passant, il appelle avec raison « l’un des grands peintres de son siècle, » mais qu’il appelle improprement Guillaume de Marseille[2], l’auteur des Artistes français à l’étranger nous apprend que, vers le milieu du XVe siècle, le miniaturiste Jean Foucquet était allé peindre à Rome, le portrait du pape Eugène IV pour l’église des dominicains de la Minerve. Or, précisément à cette époque, Fra Angelico venait de produire ses plus beaux ouvrages, et les dominicains, éclairés par les admirables talens de leur frère, n’étaient pas gens sans doute à se montrer peu difficiles ou à confier un travail de cette importance au

  1. Purgatoire, ch. XI.
  2. L’erreur où est tombé M. Dussieux avait été du reste commise avant lui par le père Della Valle et par la plupart des annotateurs de Vasari. Vasari ayant écrit tantôt Macilla, tantôt Marzitta, ou a pris le nom de famille de l’artiste pour le nom de sa ville natale, et l’on a conclu de là que Guillaume était Marseillais. Une pièce portant la signature du maître lui-même, et transcrite par le père Marchese dans ses Mémoires sur les artistes dominicains, rétablit l’orthographe authentique de ce nom, et nous fait savoir par surcroît que le prétendu Provençal était lié dans le diocèse de Verdun.