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par mes souffrances corporelles ; bien des changemens se sont opérés en moi, est-ce que l’uniforme de courtoisie que j’endossais dans les parades protestantes répond en quelque sorte à ma pensée intime ? Est-ce que ma croyance officielle est devenue pour moi plus ou moins une vérité ? Cette question, à laquelle je ne saurais répondre d’une manière directe, me fournira l’occasion de faire remarquer jusqu’à quel point, selon ma conviction d’aujourd’hui, le protestantisme a bien mérité du salut du monde, et l’on comprendra alors quel est le degré de sympathie qui lui est désormais acquis de ma part. Autrefois, quand je portais un intérêt prépondérant à la philosophie, je ne savais apprécier le protestantisme que pour des mérites qui ont rapport à la conquête de la liberté de penser, car c’est sur le sol de cette conquête que purent s’avancer plus tard Leibnitz, Kant et Hegel. Luther, ce puissant sapeur à la hache formidable, dut précéder ces champions et leur frayer le chemin. Sous ce rapport aussi j’avais représenté la réforme comme le point de départ de la philosophie allemande, et j’avais justifié ainsi l’attitude guerroyante que je pris pour les intérêts du protestantisme. À présent, dans mes années avancées, où le sentiment religieux longtemps comprimé déborde de nouveau en moi, et où le métaphysicien naufragé s’accroche à la bible, à présent j’apprécie le protestantisme tout particulièrement à cause de ses mérites pour la découverte et la propagation de l’Écriture sainte. Je dis la découverte, car les Juifs, qui avaient sauvé la Bible lors du grand incendie du second temple, et qui, pourchassés d’un pays à l’autre durant tout le moyen âge, l’avaient transportée avec eux dans toutes les pérégrinations de l’exil pour ainsi dire comme une patrie portative, les Juifs tenaient ce trésor soigneusement caché dans leur ghetto, où les savans allemands précurseurs de la réforme se glissaient furtivement pour apprendre l’hébreu, qui était la clé du bahut renfermant le trésor. Parmi ces savans était le docteur Reuchlinus, et ses ennemis, la clique des Hochstraaten à Cologne, qu’on faisait passer pour d’imbéciles obscuri viri, n’étaient nullement des idiots, mais au contraire des inquisiteurs pleins de perspicacité, qui prévoyaient très bien le malheur qu’apporteraient à l’église la connaissance et la vulgarisation des saintes Écritures ; c’est de là que vint leur rage de persécution contre tous les livres hébreux, qu’ils conseillaient de brûler sans exception, tandis qu’ils cherchaient à faire exterminer par une populace fanatisée les receleurs de ces livres, les drogmans de la langue sacrée, les Juifs. Maintenant que les causes de ces conflits ont été mises à jour par l’histoire, on voit combien chacun avait raison au fond. Les obscuri viri croyaient que le salut du monde était menacé, et tous les moyens, le mensonge et le meurtre, leur semblaient permis, surtout