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à l’endroit des Juifs. C’était chose facile que de lâcher contre eux le pauvre peuple, ces enfans d’une misère héréditaire, qui haïssaient déjà suffisamment les Juifs à cause de leurs richesses amassées ; car, remarquez-le bien, ce qui est appelé aujourd’hui la haine des prolétaires contre les riches s’appelait autrefois la haine contre les Juifs. En effet, ces derniers étant exclus de toute possession territoriale et de tous les métiers et corporations industriels, n’ayant par conséquent que la ressource du commerce et des affaires d’argent que l’église réprouvait et interdisait à ses fidèles, les Juifs étaient légalement condamnés à devenir riches, puis à être haïs et assassinés. Ces assassinats, il est vrai, étaient en ces temps-là couverts d’un manteau religieux, et l’on disait qu’il fallait exterminer ceux qui avaient jadis crucifié notre Seigneur. Chose étrange ! le peuple qui avait donné un Dieu au monde, et dont toute la vie ne respirait que la crainte de Dieu, fut décrié comme déicide ! On vit la parodie sanglante d’une telle démence alors qu’éclata la révolution de Saint-Domingue, où une bande de nègres, qui saccagea les plantations et massacra les créoles, avait à sa tête un fanatique noir qui portait un immense crucifix et hurlait comme un forcené : « Les blancs ont tué le Christ, allons tuer tous les blancs ! »

Oui, c’est à ces mêmes Juifs auxquels le monde doit son Dieu qu’il est aussi redevable de la parole divine, de la bible ; de même qu’ils la sauvèrent du sac de Jérusalem, ils surent la sauver aussi plus tard, lorsque éclata la grande débâcle, je dirais la banqueroute de l’empire romain, et que les peuples du Nord, se ruant sur l’ancien monde païen, le détruisirent et fondèrent sur ses ruines un nouveau monde aussi barbare qu’eux-mêmes. Durant toute cette période tumultueuse que nous nommons celle de la migration des peuples, et pendant tout le moyen âge, ère de superstition et de rapine, les Juifs, quoique harcelés sans relâche et vivant dans la tourmente d’une fuite continuelle, conservèrent pourtant intact leur précieux dépôt, les saints livres, jusqu’au jour où le protestantisme parut et vint chez eux les chercher pour les traduire dans les langues de tous les pays et pour les répandre par tout l’univers. Cette propagation a porté les fruits les plus bienfaisans, et elle dure encore jusqu’à ce jour, où la propagande de la société biblique remplit une mission vraiment providentielle. Cette mission est plus importante qu’on ne pense, et elle aura en tout cas des conséquences bien différentes de celles qu’imaginent les pieux patrons de cette société d’exportation de christianisme britannique. Ces gentlemen croient établir la domination d’un étroit et mesquin dogmatisme anglais, propre à leur procurer le monopole du ciel, qui deviendrait un domaine de l’église anglicane, comme l’océan est déjà inféodé à leur puissance