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et de Calderon, dont il savait la langue, il s’est toujours abstenu de les imiter : il leur demande conseil, mais il ne les copie jamais. Son talent, mûri par la pratique de la vie, a gardé la physionomie qu’il avait en 1825. À vingt-neuf ans de distance, nous retrouvons M. Prosper Mérimée tel que nous l’avons connu en quittant les bancs du collège. Il ne s’est pas prodigué, il a toujours ménagé sa pensée, ne parlant qu’à son heure. Aussi sa renommée est aujourd’hui aussi jeune, aussi pure, aussi généralement acceptée qu’à l’époque où se publiait Mateo Falcone.

Quoique ses débuts appartiennent à la restauration, il est impossible de découvrir dans ses ouvrages la trace des doctrines proclamées par l’école poétique de ce temps. Il assistait aux tentatives de cette école sans partager ses espérances. Il avait sur la plupart des néophytes un immense avantage : il connaissait la langue de Virgile et d’Homère aussi bien que la langue de Shakspeare et de Calderon, et le commerce familier qu’il avait entretenu de bonne heure avec l’antiquité ne lui permettait, pas d’accepter comme excellentes et sans réplique toutes les railleries prodiguées au génie païen. Il ne devait pas entendre sans sourire les arrêts prononcés contre l’imagination athénienne. Lisant Aristophane aussi souvent que Rabelais, que devait-il penser quand il entendait affirmer que l’antiquité païenne n’avait pas connu le grotesque ? Les Grenouilles, les Guêpes et les Nuées lui semblaient à bon droit aussi hardies que Gargantua et Pantagruel. Son admiration pour le joyeux curé de Meudon n’ôtait rien à son estime pour l’ennemi de Cléon. Il ne pouvait donc consentir à sacrifier l’antiquité, comme le voulait la nouvelle école poétique malgré ses réserves respectueuses en faveur d’Homère. L’apothéose du moyen âge ne pouvait non plus séduire son esprit. Il était en effet trop évident que la nouvelle école connaissait très imparfaitement la période historique dont elle proclamait l’excellence poétique. M. Prosper Mérimée avait compris de bonne heure la nécessité d’étudier l’histoire dans les monumens originaux. Aussi, quoiqu’il n’ait jamais entretenu ses lecteurs d’ogives et de pleins-cintres à propos de poésie, il savait à quoi s’en tenir sur le moyen âge, car il ne s’était pas contenté de l’étudier dans les chapiteaux romans et les chapiteaux gothiques : Grégoire de ’l’ours, Eginhard, Froissard et Philippe de Commines lui avaient enseigné ce que l’école nouvelle avait la prétention de deviner. Cette prétention singulière est aujourd’hui réduite à sa juste valeur : il est démontré désormais pour les plus incrédules que la nouvelle école ignorait le moyen âge aussi bien que l’antiquité. Les œuvres de M. Prosper Mérimée, inspirées par de solides études, se recommandent encore, comme au premier jour, par leur vérité.