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une recette certaine pour amuser l’Europe. Aussi, lorsque, après avoir lu un grand nombre de mémoires sur le XVIe siècle, il voulut tirer de ses études un roman qui les résumât, il n’essaya pas de lutter avec Ivanhoe, et sa prudence lui a porté bonheur. Je suis très loin de mettre la Chronique de Charles IX sur la même ligne qu'Ivanhoe, une telle comparaison ne serait qu’une ridicule flatterie ; mais je sais bon gré à l’écrivain français d’avoir évité jusqu’à l’ombre même de l’imitation. Il a suivi librement la pente de son esprit, et n’a pas engagé la lutte avec un génie justement populaire. La date mise en tête de son livre nous reporte à l’année de la Saint-Barthélémy. Cependant ce n’est pas un roman historique dans le sens qu’on donne généralement à ce mot. Charles IX ne paraît que dans un seul chapitre, et la plupart des personnages sont de pure invention. À proprement parler, toute l’attention du lecteur est concentrée sur les amours de Mergy et de Diane de Turgis. L’auteur s’est efforcé de leur prêter les passions et le langage du XVIe siècle, et je crois qu’il a réussi. Non qu’il se soit appliqué à reproduire servilement les locutions en usage à la cour de Charles IX, — ce n’eût été là qu’un puéril passe-temps, — mais je retrouve dans Diane de Turgis le type des femmes spirituelles et voluptueuses dont Brantôme nous a laissé les portraits. Ce type n’était pas facile à reproduire, car l’auteur devait craindre, en serrant de trop près son modèle, d’effaroucher plus d’un lecteur. La franchise de Brantôme, qui va souvent jusqu’à la crudité, ne serait pas acceptée de nos jours. M. Prosper Mérimée, tout en rappelant la manière de ce joyeux conteur, a su se plier aux exigences de la société moderne. Diane de Turgis est bien une femme du XVIe siècle, passionnée, voluptueuse, pour qui la passion et le plaisir résument toute la vie ; mais sa passion est si vive, si ardente, qu’elle excite notre admiration et notre sympathie. Les esprits chagrins pourront lui reprocher d’intervertir les rôles et de porter dans l’amour une énergie, une hardiesse virile. Il est certain en effet qu’elle est prompte à l’attaque et ne s’occupe guère de la défense. Cependant, telle qu’elle est, malgré ses momens de virilité, il est impossible de ne pas l’aimer, car elle gagne tous les cœurs par son adorable franchise. Il semble, au premier aspect, que la hardiesse exclue la grâce : la timidité, comme la pudeur, est un des plus grands charmes de la femme. Diane de Turgis concilie pourtant la hardiesse et la grâce. C’est que, dans sa hardiesse même, le caractère de la femme ne s’efface pas tout entier : on sent qu’elle redeviendrait timide, s’il ne s’agissait pas de son amant. Ici se présente une objection grave dont il faut tenir compte : est-il possible que Mergy nous intéresse bien vivement dans une lutte où il oublie trop souvent le rôle qui lui appartient ? En thèse générale, je serais forcé d’accepter