Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’objection comme un argument sans réplique ; mais il ne faut pas oublier que Mergy, tremblant devant Diane, inhabile à poursuivre le bonheur qu’il a rêvé, ne tremble pas lorsqu’il s’agit de jouer sa vie : il est brave, et Diane ne l’ignore pas. S’il manquait de courage, elle ne pourrait l’aimer. Son hésitation en face de la femme qui ne s’est pas encore donnée à lui n’a rien qui doive nous étonner ; il est jeune, inexpérimenté, il admire la beauté de Diane, et son admiration même ajoute encore à la gaucherie de son âge. Diane comprend bientôt que, si elle ne se décide à faire les premiers pas, ils ne seront jamais réunis. Elle se résout donc à engager les premières escarmouches, et quand Mergy est au comble de ses vœux, il s’aperçoit à peine qu’elle lui a livré la victoire. Quoi qu’on puisse penser de la partie de chasse où se dessinent les premiers traits de ce caractère singulier, il faut louer le talent énergique et vrai avec lequel l’auteur a su peindre sa défaite volontaire. Diane coupant elle-même ses lacets pour retenir, pour sauver son amant, pour le dérober au massacre de la Saint-Barthélémy, est un épisode admirablement raconté.

Est-il permis de voir dans la Chronique du temps de Charles IX un roman qui satisfasse à toutes les conditions du genre ? Malgré ma vive sympathie pour le talent de l’auteur, je n’hésite pas à dire non. C’est une suite de chapitres tour à tour ingénieux ou émouvans ; ce n’est pas un roman dans le vrai sens du mot. Si l’attention du lecteur se concentre sur Diane et Mergy, si à côté de ces deux personnages il aperçoit un trop grand nombre de figures qui ne sont pas mêlées directement à l’action et s’il n’éprouve pas un moment d’ennui, il n’échappe pas toujours à l’impatience. Il donnerait de grand cœur la moitié de cette galerie pour voir le récit marcher d’un pas plus rapide. Sous le rapport de la composition, la Chronique du temps de Charles IX demeure donc fort au-dessous de Mateo Faceone ; mais ce qui assure à ce livre un rang très élevé, c’est que tous les chapitres sont écrits avec un soin scrupuleux, et que tous les personnages, à quelque plan qu’ils soient placés, sont également vivans ; il n’y a pas une seule figure qui manque de relief.

Sans doute nous devons regretter que ces chapitres si bien faits, écrits d’un main si sûre, ne soient pas noués entre eux d’une manière plus étroite. Toutefois la légitimité de ce regret se concilie très bien avec l’estime dont le livre jouit depuis vingt-cinq ans. S’il pêche en effet par la conception, si les diverses parties dont il est formé paraissent assemblées presque au hasard, si elles semblent pouvoir être déplacées sans de graves inconvéniens pour le lecteur, en revanche il n’y a pas une page qui, prise en elle-même, ne se recommande par l’accent de la vérité. Plus tard, nous avons vu la fantaisie envahir l’histoire, la traiter en pays conquis et la gouverner