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et plus beau. Nous ne voulons pas parler de la position formidable que nous donne dans le système méditerranéen la possession du littoral barbaresque : c’est le rôle économique et producteur de l’Algérie qui nous préoccupe. Qu’on se souvienne de ce qu’était l’Andalousie du temps des Maures. Ce qu’était l’Andalousie alors, l’Algérie peut l’être aujourd’hui. Il y avait 11,000 villages florissans sur les bords du Guadalquivir, aujourd’hui arides et dépeuplés ; mais la vallée du Guadalquivir valait-elle comme étendue et comme possibilités de production la vallée du Chélif, qui ouvre, comme une large nappe de terre végétale, tout le pâté montagneux de l’Algérie centrale, recevant dans son vaste parcours, comme autant d’affluens, tous les plateaux de l’intérieur ? Séville occupait 130,000 ouvriers à la fabrication de la soie, mais avait-elle les sources abondantes de l’Oued-Boutan, qui descendent de Milianah avec une force motrice de 5,000 chevaux ? Du haut de son éminence, Grenade voyait 400,000 habitans établis dans sa huerta merveilleuse : qu’est-ce pourtant que la plaine de Grenade ou même la vega de Valence, comme étendue et comme force productrice, à côté de la Mitidja, qui s’étend derrière Alger sur trente lieues de long et cinq de large, ou même à côté de la plaine de la Seybouse, qui s’étend derrière Bône sur 1,000 kilomètres carrés ?

Par ses conditions même de latitude, le rôle de l’Afrique dans l’économie vitale de la France nous paraît d’avance nettement tracé. Nous devons exclusivement réserver à la culture industrielle, aux productions riches, la partie actuellement colonisable de l’Algérie. En un mot, nous devons donner à notre colonie africaine le rôle qu’avait eu jusqu’à la Provence dans la production générale de la France. Figurons-nous une Provence agrandie et mieux disposée pour la production. L’olivier du Var est à peine un arbuste à côté des oliviers à grande futaie de l’Afrique ; ceux-ci du moins ne redoutent ni la gelée ni la sécheresse, ni même l’incendie. Nous en avons vu dont le tronc était percé à jour par le fouet qui élevaient encore à huit mètres leur bouquet touffu chargé de fruits. Les plus anciens mûriers de l’Ardèche n’atteignent, ni comme tronc ni comme ramure, aux proportions des mûriers d’Afrique à la dixième année de leur transplantation. L’île de Chypre ne produit pas de garance plus estimée que la garance africaine, payée à Constantine le même prix que si elle était rendue sur le marché même d’Avignon.

L’Algérie a longtemps cherché les voies de sa production au sein des épreuves ruineuses. Une série d’essais heureux de culture industrielle est venu enfin l’éclairer sur ses intérêts. Il y a quelques années, l’Algérie trouva le tabac, et le tabac sauva la colonisation naissante[1]. À la dernière récolte, un

  1. Deux mille hectares de tabac ont produit, en chiffres ronds, 2 millions de francs, dont l’état a payé 1,436,000 francs, et le chef du service des tabacs, dans son rapport à M. le ministre de la guerre, ajoute : « Le commerce est intervenu dans les achats pour des quantités aussi considérables que celles que nous avons reçues nous-mêmes pour le compte des manufactures de France. » Cela ne fait guère ressortir qu’à 1,000 francs de rendement l’hectare cultivé en tabac ; mais nous devons faire remarquer qu’une grande partie du tabac récolté a été produit par des terres non arrosées, particulièrement a Bône, dans le Sahel d’Alger et dans le Sahel d’Oran. Partout où l’arrosement est venu activer la production, le rendement a dépassé 2,000 francs l’hectare. Du reste, dans beaucoup de localités, à Bône, à Saint-Denis-du-Sig, dans la Mitidja même, la culture da tabac a été négligée cette année pour la culture du coton, qui fait espérer aux colons un prix rémunérateur de près du double. La production du tabac, qui avait plus que doublé de 1852 à 1853, n’augmentera plus sensiblement en 1854 ; mais en revanche la production du coton aura décuplé d’une année à l’autre.