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la province d’Oran, — nous passerons ainsi successivement en revue tous les grands centres d’exploitation qu’offre ou que réserve l’Afrique aux populations européennes.

La première plage qui se présente est celle de Bône. Sur ce point, la zone colonisable du nord au sud, par le méridien de Bône, s’étend sans interruption jusqu’à Tebessa, à plus de cinquante lieues dans l’intérieur des terres. Il faut se placer, pour contempler cette vaste région fécondée par la Seybouse, au point culminant de la route qui de Bône monte aux forêts de l’Édough ; on aura sous les yeux un panorama vraiment beau. Derrière soi, la mer jusqu’au cap de Fer et les forêts sans limites de l’Édough ; devant soi, encore la mer suivant une courbe gracieuse jusqu’au cap Rose ! Du cap Rose court vers le sud une région montagneuse qui vient aboutir aux forêts des Beni-Salab, faisant à l’est, de l’autre côté de la plaine de Bône, face aux forêts de l’Édough, du haut desquelles nous regardons le panorama qui se déroule à nos pieds. À droite, l’œil s’arrête sur les eaux argentées du lac Fezzara, peuplé de cygnes et d’oiseaux aquatiques aux brillans plumages, dont on fait à Bône un commerce assez lucratif. Une large bande de terres excessivement fertiles relie le lac Fezzara aux hauteurs boisées de Dréau, qui servent de point culminant au centre de la plaine. À vos pieds, sous vos yeux, abritée de la mer par le revers d’une falaise, c’est Bône, aux blanches maisons à terrasses, qui s’incline vers sa banlieue cultivée comme un jardin. Cette banlieue apparaît de la hauteur où nous sommes comme un damier dont les champs de coton, de tabac et de plantes potagères forment les cases, et dont les oliviers, les mûriers et les citronniers marquent les intervalles. Plus loin, l’Alélik, composé de fermes éparses que dominent la grande masse de l’établissement de hauts-fourneaux pour la fonte des minerais de fer et le dépôt d’étalons entouré de prairies, l’Alélik se relie à Bône par une traînée de maisons de campagne et de jardins toujours verts, bordant la route sur une étendue d’une lieue et demie. Entre la ville et l’Alélik, on voit un petit mamelon où fut Hippone et où s’élève aujourd’hui le tombeau de son glorieux patron, saint Augustin, à l’ombre toujours fidèle d’un bosquet d’oliviers et de citronniers. Au-delà, c’est la plaine nue où le village de Duzerville, à trois lieues de Bône, vous sert de point de repère ; mais à l’extrémité de cette plaine, à quinze lieues de l’Édough, au pied des montagnes des Beni-Salah, l’œil distingue au fond d’un entonnoir deux masses blanches, qui sont les villages de Mondovi et de Barral[1]. Au fond de l’entonnoir descend lentement vers la plaine, comme d’une urne à peine inclinée, la Seybouse, dont on peut suivre à travers les terres les sinuosités paresseuses. Entre la rivière et la mer s’étend une plage assez basse où la vague émerge et forme des flaques. Cette terre sablonneuse, saturée de sel marin, est aujourd’hui totalement inexploitée. S’il y a pourtant dans toute l’Algérie un sol ressemblant aux plages de la Caroline du Sud, et favorable par conséquent à la production du coton-Georgie longue soie, assurément c’est la rive droite de la Seybouse. Malheureusement la crainte des lièvres en a jusqu’ici éloigné les cultures. C’est aussi la crainte des lièvres qui a empêché la colonisation de s’étendre

  1. Mondovi a livré cette année à la régie pour 48,000 francs de tabac.