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Je ferai grâce au lecteur de la petite pointe de satire que l’auteur se permet sur l’eau bénite de l’église russe et sur la bénédiction des eaux du Volga et de l’Oka. Le poisson des rivières bénies, le thé fait avec leurs eaux, le bol même de punch qui admettait l’eau sacrée, étaient, suivant cet hérétique, tout à fait sanctifiés. Suivant lui, les agriculteurs et les marchands russes comptent un peu trop sur les bénédictions cléricales pour remplir leur bourse. J’avoue que j’aime mieux les voir fonder leurs espérances sur ces bénédictions que sur le brigandage. La foire a lieu vers la fin d’août, évidemment pour laisser s’établir toutes les communications d’été des contrées septentrionales. Voici une autre remarque critique du voyageur qui pourra faire réfléchir nos Européens, habitués sans contrôle à mépriser au physique et au moral tout ce qui n’est pas civilisé à notre manière :


« Ayant traversé le canal, nous arrivâmes à ce qu’on peut appeler un des faubourgs de la grande citadelle commerciale occupée momentanément par tant de milliers d’étrangers. Nous y trouvâmes des promenades et des cafés (l’auteur emploie le mot français), lesquels pouvaient presque rappeler les établissemens et les promenades du même genre des Champs-Elysées de Paris, et nous entrâmes dans un de ces cafés, où nous fûmes attirés par la musique. Nous trouvâmes au premier étage une immense salle élégamment approvisionnée de tout ce qui peut être attrayant pour un étranger. Contrairement à l’usage de pareils établissemens, où on voit un grand nombre de petites tables disposées autour de la pièce, il régnait ici tout autour une seule et même table étroite et longue avec des bancs des deux côtés. Il y avait de plus deux rangs de bancs en étages, contigus au mur, l’un plus élevé que l’autre. Sur le banc supérieur étaient assis plusieurs petits groupes de belles musiciennes[1]. Ces groupes séparés jouaient de la harpe et d’autres instrumens à cordes ; toutes ces artistes portaient le costume de leurs nombreuses contrées natales. Ainsi sous le même toit étaient réunis la beauté et le talent de la Grèce, de l’Italie, de l’Allemagne, de la Hollande, de la Russie méridionale et des autres parties de l’Europe (l’auteur évite de nommer la France et l’Angleterre), en un mot de toutes les contrées de la chrétienté, car le privilège dont jouissent les hommes de transformer leurs filles en mécaniques portatives destinées à amuser le monde entier est réservé exclusivement aux seuls pays chrétiens. Par suite, tous les étrangers qui étaient dans ce café étaient des hommes non-seulement d’Europe, mais en grand nombre de toutes les nations du monde, la Chine exceptée. »


Un peu plus haut, M. Hill mentionne un directeur français qui avait amené cinq cents belles artistes de l’Europe occidentale (probablement de France et d’Angleterre), habiles dans tous les arts qui servent à la récréation des hommes entre les heures des affaires et celles du sommeil.

  1. En anglais, le mot galant de belles (fair) ne désigne que le sexe féminin, sans préjudice pour ou contre la beauté.