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quartier de rocher[1]. Ce que nos intelligences occidentales considèrent comme d’absurdes légendes a ici un caractère divin : ce sont des faits non-seulement probables, mais certains, attestés par de sages mounis, et d’ailleurs en parfaite harmonie avec l’état du monde à l’époque où vivaient ces divins ascètes et avec ce que la nature conserve encore de cet état primitif. Le vieux pandit s’extasie sur les exploits amoureux de Krishna, qui, en Europe, l’enverraient aux galères. Les idées qui servent de base à nos jugemens et à notre approbation morale sont bouleversées par cette naïve et imperturbable admiration. Quelle opinion peut-on se former de la valeur intellectuelle de ces innocens enthousiastes ! Et cependant, dans la pratique, ni la raison, ni la conscience de l’Hindou ne semblent affectées par l’admission de ces puérilités. Nous pouvons le prendre en pitié, rire de lui comme d’une espèce de don Quichotte spiritualiste ; mais, dans les affaires ordinaires de la vie, nous trouvons qu’il ne manque ni de sens, ni de tact, et qu’il se montre en général aussi honnête, aussi moral que ses juges. De l’accomplissement de ses pèlerinages et des cérémonies qui sont liées à ses croyances, il retire une satisfaction intérieure et des droits toujours respectés à la considération publique, qui l’indemnisent largement de son ignorance philosophique. « En gravissant le Pounaguiri, dit un voyageur auquel nous empruntons une partie de ces remarques, je rencontrai une famille qui revenait après avoir visité un lieu de pèlerinage ; la vieille mère s’avançait d’un pas mal assuré, et non sans émotion, le long des précipices, mais son œil brillait de la flamme de la foi la plus ardente, et témoignait de la conviction qu’elle venait d’assurer son bonheur éternel ! N’eût-il pas été cruel de chercher à la détromper<ref> Voyez le major Madden dans son mémoire sur les montagnes de Kamaoun./ref> ? » Ne nous dissimulons pas que, pour ces pauvres Indiens, les légendes religieuses, les traditions empruntées au Ramayana, au Mahabharata, remplacent nos drames, notre opéra, nos romans, nos poèmes, nos journaux, et, à tout prendre, n’ont-elles pas un caractère de vérité et d’exactitude relatives aussi satisfaisant que les récits aventureux dont se contente l’Occident ? Il est possible, sinon probable, que Ram et Krishna, tels que les Hindous se les représentent, n’aient jamais répondu à des types réels ; mais

  1. Dans les montagnes de Kamaoun, toute maladie a une origine diabolique. L’une des conjuration les plus efficaces pour chasser l’esprit malin est d’enfouir une pièce en terre à la rencontre de quatre chemins, et d’enterrer certaines graines ou drogues à l’endroit même. Les corbeaux ne tardent pas à déterrer les provisions enfouies, et les montagnards voient dans la disparition de ces objet l’accomplissement prochain de leurs désirs. On peut consulter à ce sujet Turace and outer Mountains of Kamaoon, by major Madden, Bengal artillery. Journal of tje Asiatic Society of Bengal, may et june 1848.