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raison. Par la raison seule, elle pouvait et devait être comprise et affermie, comme il était de son essence d’être propagée par la seule persuasion et non par la force. En 1578, voulant donner une sanction éclatante aux réformes qu’il méditait, Akbăr fit publier une ordonnance revêtue des sceaux des principaux docteurs en théologie et des personnages les plus renommés pour leur savoir, déclarant que l’intérêt et la prospérité de la religion exigeaient que l’empereur fût considéré et reconnu comme seul directeur suprême de la foi. C’était imiter, sans le savoir, mais par de plus nobles motifs, la conduite de Henri VIII d’Angleterre. À dater de cette époque, la fameuse formule du kalma : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète, » fut remplacée par la formule suivante : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Akbăr est son khalîf[1]. » C’était introduire le déisme pur et nier non-seulement la mission divine de Mahomet, mais toute interposition, toute médiation à titre de prophétie ou d’apostolat entre l’homme et Dieu. Aussi, dans les vingt-sept années qui s’écoulèrent entre la fameuse ordonnance de 1578 et la mort d’Akbăr, l’abolition graduelle de toutes les institutions particulières au mahométisme occupa presque exclusivement l’empereur. De là l’adoption d’une ère nouvelle, datant de l’avènement d’Akbăr au trône de l’Hindoustan, et les nombreuses modifications introduites dans la loi musulmane, jusqu’alors la seule applicable aux familles de cette croyance. Il est remarquable qu’Akbăr ne toucha point au culte hindou, malgré son aversion pour toutes les pratiques de l’idolâtrie. L’antiquité de ces pratiques et leur alliance intime et constante avec la vie publique et privée des Hindous ne permettaient pas, en effet, qu’un souverain humain et bon politique comme l’était Akbăr courût risque de s’aliéner la confiance et l’affection de la très majeure partie de ses sujets en essayant d’attaquer leurs croyances par le côté le plus inexpugnable, celui des habitudes invétérées.

La perfection de la religion nouvelle ne consistait pas d’ailleurs, selon Akbăr, dans certaines formules de prières et dans de vaines cérémonies, mais dans la pureté d’une vie sans tache, dans la

  1. Sur la monnaie d’or nommée schensch, de forme ronde et de la valeur de 100 lâl djelaly mohurs (1,200 roupies, environ 3,000 fr.) selon Abou’l-Fazl, on lisait (dans l’origine) d’un côté cette inscription : « Le grand roi, le glorieux empereur, Dieu veuille perpétuer son royaume et son règne ! — Frappé à la capitale Agra, etc. » De l’autre le kalma et un verset du Khorân. On y ajouta depuis — d’un côté : « La meilleure des monnaies est celle qui est employée à secourir les nécessiteux et qui profite à ceux qui marchent de concert dans les voies du Seigneur ; » de l’autre : « Le sublime monarque ! le très haut khălif ! Dieu veuille perpétuer son royaume et son règne et augmenter sa justice et sa droiture. » Enfin on substitua à ces inscriptions deux tetrastiques du prince des poètes (Sheikh-Fézy) comme dit Abou’l-Fazl, qui les cite tout au long. (Ayin-Akbăry, vol. Ier, p. 23-24.