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fort et le faible des peuples sur lesquels elle aspirait à dominer. Aussi voyons-nous ce prince, élevé dans la religion musulmane, entouré exclusivement de musulmans à son arrivée dans l’Hindoustan, affermi sur son trône par l’énergique Behrâm-Khân et par ses frères d’armes et de croyance, rechercher bientôt l’alliance des grandes familles hindoues, appeler les chefs hindous dans ses conseils et à la tête de ses troupes, et former des intrépides Râdjpouts sa cavalerie d’élite. Bien plus, comme s’il eût reconnu que le respect pour les femmes, la fidélité vigilante aux consignes les plus délicates, le dévouement le plus héroïque et le fanatisme du point d’honneur fussent les attributs distinctifs de cette race, c’était aux Râdjpouts qu’était confiée la garde de l’enceinte intérieure du harăm : les omrâhs de service, les adhiâns (hommes d’armes) et autres corps de la garde impériale étaient campés en dehors des portes[1]. S’il admirait la bravoure chevaleresque et l’intelligence militaire chez les Râdjpouts, il savait apprécier l’aptitude merveilleuse d’autres classes de la grande famille brahmanique aux détails de l’administration intérieure, aux combinaisons fiscales, leur intelligence des procédés de l’agriculture et de l’industrie. Avec les pandits, quelque déchus qu’ils fussent de l’érudition première de leur caste, il se plaisait à s’entretenir de la science et de la philosophie de leurs ancêtres. Il plaçait un Mânn-Sing ou un Tadar Mall, nobles hindous, à la tête de ses armées mahométanes ou de sa grande réforme administrative, et il chargeait de graves moullahs, des musulmans sanctifiés par le pèlerinage de la Mecque, un sheikh Feizy, un Abou’l Fazl, un hadjy Hibrahîm, etc., de traduire en persan les livres sacrés de l’Inde gangétique.

Ainsi Hindous et musulmans furent appelés à l’aider dans ses efforts pour créer l’unité gouvernementale. Ainsi ce grand homme trouva des élémens d’organisation, de force et de progrès dans cette diversité de races, d’habitudes et de croyances qui semblaient ne pouvoir constituer que des élémens de discorde, de désordre et de ruine. Il aurait voulu cimenter l’union politique et sociale qu’il était parvenu à établir parmi ses sujets immigrés et indigènes à l’aide d’une transaction religieuse, et nous avons vu que ce fut là le but de la réforme qu’il introduisit d’abord dans les classes supérieures de la société avec l’espoir qu’elle s’infiltrerait peu à peu dans les masses : méprise d’un cœur aimant et d’une haute pensée ! Ce fut au moment

  1. « L’intérieur du harăm est gardé par des femmes ; les principales sont stationnées près de la porte de l’appartement impérial. Immédiatement en dehors de cette porte veillent les eunuques, et à quelque distance de là les Râdjpouts, plus loin les portiers de l’enceinte du harăm, et, en dehors de l’enceinte, les omrâhs, les adhiâns et autres troupes de la garde selon leur rang. » (Ayîn-Akbăry, vol. Ier, p. 47.)