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le monde spirituel comme dans un miroir, rien n’est préférable à l’amour ou plus sacré que l’amitié. Aussi attribuent-ils l’économie et la disposition admirable de l’univers à l’affection et à l’harmonie. — Quand le soleil de l’amour éclaire nos cœurs, il dissipe jusqu’au fond de l’âme les ténèbres de la vie mortelle, et cela est surtout désirable pour les princes dont la bonne intelligence mutuelle est la garantie du bonheur des peuples. — C’est pourquoi tous les efforts d’une intelligence élevée tendent à favoriser, à entretenir ces sentimens d’union et d’amitié parmi les serviteurs de Dieu, et surtout parmi les rois que la faveur divine a placés à la tête de l’humanité. — Plus particulièrement devons-nous désirer resserrer les liens de fraternité qui nous unissent à un prince dont l’esprit éclairé et le zèle qui l’anime pour la propagation des ordonnances de Jésus sont au-dessus de toute description et de tout éloge. — Le voisinage de nos états[1] de ceux d’un prince aussi renommé rend cette alliance plus indispensable encore ; mais attendu que plusieurs obstacles et raisons majeurs rendent une conférence personnelle impraticable, on ne peut y suppléer que par des ambassades et par la correspondance. Puisque c’est le seul moyen de remplacer les avantages d’une entrevue et d’une conversation intime, nous y avons recours, avec l’espoir que ces communications ne souffriront aucune interruption, et qu’ainsi s’établira une manifestation mutuelle de nos sentimens et de nos désirs en ce qui touche à nos intérêts réciproques. — Votre majesté n’ignore pas que les savans et les théologiens de tous les temps et de tous les pays, malgré la diversité de leurs opinions sur le monde extérieur et le monde intellectuel, s’accordent en ce point, que le monde extérieur n’est d’aucune importance par rapport à l’autre, et cependant les prétendus sages de toutes les nations et les grands de la terre se donnent un mal infini pour améliorer leur condition dans ce monde périssable, où tout n’est qu’apparences, et consacrent le meilleur de leurs vies et leur temps le plus précieux à l’acquisition des trompeuses délices, des vains plaisirs et des joies passagères qui les absorbent tout entiers. — Le Très-Haut, dans sa bonté infinie et par l’effet de sa grâce éternelle, a permis qu’au milieu de tant d’obstacles et du tourbillon des affaires, mon cœur le cherchât toujours ; et bien qu’il ait soumis à ma puissance tant d’états considérables, que je m’efforce de gouverner de mon mieux et de manière à rendre tous mes sujets contens et heureux, cependant (et j’en bénis son saint nom !) sa volonté a été ma règle, et l’accomplissement de mes devoirs envers lui, le but constant de mes actions et de mes désirs. — Considérant en même temps que la plupart des hommes, enchaînés par la coutume de leurs habitudes héréditaires ou entraînés par l’exemple, suivent aveuglément la religion dans laquelle ils sont nés, sans se donner la peine de peser dans leur esprit la juste valeur des argumens ou des preuves qu’on invoque en faveur de leurs croyances, et sont ainsi privés de l’excellence de la vérité, dont la découverte est le but légitime de tout esprit raisonnable, Je me plais à converser avec les hommes les plus instruits des diverses religions et profite des discours de chacun d’eux[2].

  1. Les provinces conquises par les Portugais dans l’Hindoustan et occupées par eux à cette époque les rendaient voisins de l’empereur moghol.
  2. Non content de s’entretenir avec les ministres des diverses religions, Akbăr encourageait des conférences sur ce sujet et prenait part lui-même aux discussions théologiques. Nous avons vu qu’il avait donné une attention particulière à l’étude des croyances brahmaniques, et il existe des lettres d’Abdoullah-Khân, prince des Ouzbegs, à Akbăr, dans lesquelles ce khân lui reproche vivement sa froideur pour la religion mahométane et l’accueil favorable qu’il fait aux brahmanes.