Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conclut qu’il devait rester dans les mêmes doutes que par le passé, mais il ajouta que, des deux croyances, s’il plaisait à Dieu de lui donner la santé, il s’engageait à faire une religion beaucoup meilleure qu’aucune de celles qui avaient jusqu’à ce jour été pratiquées par l’humanité. Il congédia ensuite les théologiens traducteurs en leur faisant quelques présens dont la valeur ne suffisait pas pour défrayer les dépenses de leur voyage. Ce qui a frappé Hanway, auquel nous empruntons ce récit (confirmé dans tous les points essentiels par le père Desvignes, missionnaire jésuite, l’un des traducteurs employés par Nadăr-Shâh)[1], ce qui nous semble, en effet, bien digne de remarque, c’est le contraste que forme la conduite de Nadăr-Shâh, dans cette occasion, avec la modération, la dignité et la sincérité qu’Akbăr a constamment manifestées dans ses fréquentes relations avec les ministres du culte catholique. Les deux souverains semblent, il est vrai, avoir montré la même indépendance en matière de religion, et Nadăr -Shâh affectait la prétention de devenir, comme Akbăr, le fondateur d’une croyance nouvelle. Seulement le but de Nadăr lui était exclusivement indiqué par son ambition et sa politique personnelles ; celui que se proposait Akbăr était, dans la pensée de ce grand homme, inséparable des scrupules de sa conscience et du bonheur de l’humanité.

Akbăr, à l’arrivée de la troisième mission partie de Goa pour sa cour et rendue à Lahore en 1595, reçut le père Jérôme-Xavier et ses compagnons avec de grandes démonstrations de joie ; il leur montra les livres dont les missions précédentes lui avaient fait cadeau, et parmi lesquels nous citerons, indépendamment des saintes Écritures, les Ordonnances de Portugal et les Constitutions de la Société de Jésus. L’empereur fit plus d’honneurs à ses nouveaux hôtes qu’il n’en faisait à ses principaux omrâhs, et il paraîtrait même que, dans une réception solennelle (28 août 1595), il les accueillit avec plus d’égards encore que des princes souverains ses vassaux, qui venaient lui rendre foi et hommage. Il accorda aux missionnaires toutes les facilités qu’il pouvait leur donner sans engager directement son gouvernement et compromettre inutilement leur propre sûreté. Il s’entretint fréquemment lui-même avec eux, assista plusieurs fois aux cérémonies de leur culte avec les démonstrations d’une humilité et d’une vénération sincères et toutes les apparences d’une conversion prochaine ; mais cette fois encore les espérances des chrétiens devaient être déçues. Cependant rien n’avait été négligé par les missionnaires pour assurer le triomphe de leurs armes spirituelles. Le plus profond respect témoigné en toutes circonstances à l’empereur

  1. Lettre du père Desvignes au père Royer, procureur des missions du Levant, datée de Julfa, en Perse, le 26 mai 1744. (Lettres édifiantes.)