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vigueur de son intelligence, il condamne ouvertement la religion dans laquelle il avait été élevé comme entachée d’ignorance, du fanatisme le plus aveugle et du sensualisme le plus grossier. Nous constatons, d’après l’Ayîn-Akbăry, le Dabistân, d’après le témoignage des voyageurs et des missionnaires, qu’une curiosité sérieuse et infatigable l’avait porté de bonne heure à étudier et à comparer les croyances religieuses des différens peuples, et qu’il avait été particulièrement ému de la pureté et de la grandeur des dogmes exposés dans les livres sacrés des Hindous et des adorateurs du feu. Entraîné ensuite vers le christianisme par la simplicité et l’élévation de ses doctrines, par le sentiment de charité et de fraternité universelle qui est son attribut distinctif et qui trouvait un écho dans sa belle âme, retenu cependant par les difficultés insurmontables que présentaient à son esprit le dogme absolu de la trinité et celui de l’incarnation, il hésita à se déclarer publiquement pour la religion de Jésus. Il était embarrassé d’ailleurs de concilier l’humilité, la douceur, le détachement de tout intérêt mondain qu’il admirait dans les missionnaires jésuites appelés à sa cour, avec les rigueurs de l’inquisition et son intervention redoutable dans la société chrétienne de cette époque. Persuadé enfin, par le peu de succès des prédications entreprises par les jésuites avec l’appui le plus loyal de sa protection et de son autorité, que l’introduction du christianisme dans ses états rencontrerait une opposition formidable et présentait conséquemment de graves inconvéniens au point de vue gouvernemental, il revint, non sans de nouvelles hésitations, au plan qu’il avait conçu en 1575. Il crut donner une base morale suffisante à la réalisation de l’unité politique et sociale qu’il voulait établir dans son vaste empire, en adoptant une profession de foi et quelques pratiques extérieures de dévotion qui pussent être accueillies à la longue par les deux grandes classes de ses sujets. Suivant les inspirations de son cœur essentiellement humain et les convictions de sa raison, il voulut ramener les hommes à des notions élevées de leurs droits et de leurs devoirs religieux sans perdre de vue les exigences de sa politique ; il proclama le culte ilâhi, culte sans temple, sans autel et sans ministre !

Ainsi, dominé par la bonté de sa nature, la pureté de ses intentions et son penchant au spiritualisme, Akbăr demandait à son siècle des sympathies et des vertus qu’il était impossible d’en obtenir. Il ne comprit pas aussi bien que l’avait fait Mahomet avec son inspiration pratique si merveilleuse que les peuples pouvaient être dirigés et contenus par le dogme, jamais par la morale. Chez lui, l’homme, essentiellement bon et sincèrement religieux, nuisit au souverain. C’est en effet à son abandon des formes et des pratiques de l’islamisme qu’il voulut remplacer par un déisme compliqué, comme nous l’avons