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LA LITTÉRATURE
ET
LE SERVAGE EN RUSSIE


Mémoires d’un Chasseur russe, par M. Ivan Tourghenief.

Tout le monde a pu remarquer que les voyageurs, causans et communicatifs dans une voiture publique tirée par des chevaux, deviennent silencieux et plus ou moins égoïstes lorsqu’ils se trouvent sur un chemin de fer. Sans chercher aujourd’hui une explication à ce phénomène, je me bornerai à faire remarquer une de ses conséquences. On a imaginé une littérature spécialement à l’usage des personnes qui, de même que Jocrisse, « n’aiment pas à faire connaissance avec les gens qu’elles ne connaissent pas. » Les Mémoires d’un Seigneur russe me semblent une heureuse addition à cette bibliothèque des chemins de fer ; seulement il est fâcheux qu’un livre destiné à être lu parmi les lacets, malheureusement trop fréquens sur nos rails, ne soit pas imprimé avec des caractères plus gros et moins serrés. Qui nous rendra les belles éditions du XVIe et du XVIIe siècle, le papier solide et pas trop blanc, les lettres nettes et carrées ? Mais la civilisation et le progrès ont sans doute leurs conditions mystérieuses, et il faut savoir se résigner à quelques inconvéniens pour beaucoup d’avantages. Au reste, quelque mal imprimés que soient les Mémoires d’un Seigneur russe, on les lira pourtant avec plaisir, non-seulement en diligence, mais dans les châteaux, où le désœuvrement va commencer ; c’est un ouvrage amusant, instructif, sans prétention, qui en dit plus qu’il n’est gros.