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descendue d’une race étrangère, autrefois conquérante, aujourd’hui plus ou moins intimement unie et amalgamée avec le peuple conquis. Les nobles russes au contraire ont la même origine que leurs paysans ; ils sont Slaves comme eux. Quelques grandes familles, il est vrai, se disent issues des princes Varègues, qui donnèrent des souverains à la Moscovie vers le milieu du IXe siècle ; mais les Varègnes ne furent pas des conquérans. Appelés comme médiateurs entre un grand nombre de petits chefs qui se faisaient une guerre acharnée, ils s’établirent assez paisiblement au milieu d’une nation qui les adopta à peu près comme les princes étrangère qu’à différentes époques les diètes de Pologne élevèrent sur le trône. Autant qu’on peut le conjecturer d’après des annales très confuses et très obscures, les chefs russes ou les plus anciens nobles furent des espèces de patriarches exerçant une autorité toute paternelle sur leur famille ou sur leur tribu, assimilée par les mœurs à une famille naturelle. Dans les idées du peuple russe, toujours si attaché aux antiques traditions, un gentilhomme est encore un patriarche. L’autorité et l’âge ont été autrefois inséparables, et l’on en trouve la preuve dans le langage. Ainsi les magistrats municipaux portent les noms caractéristiques d’anciens ou de vieillards. Au XVIe siècle, les petits gentilshommes d’un rang inférieur aux boyards s’appelaient fils de boyards. Enfin aujourd’hui même un paysan sexagénaire, en parlant à son seigneur âgé de vingt ans, le traitera de petit père.

Dans l’antique société patriarcale de la Russie, le chef de famille possédait une certaine étendue de terre qui faisait vivre sa tribu. Les individus qui la composaient étaient cultivateurs, mais non propriétaires, et comme pour bien prouver qu’ils ne possédaient en propre aucune parcelle déterminée de cette terre, tous les ans, d’après un usage qui se perd dans la nuit des temps, elle était divisée par les soins du chef en un certain nombre de lots et partagée entre tous les membres de la tribu pour être exploitée jusqu’à la récolte. Cette antique institution, qui remonte à l’origine des sociétés, s’est perpétuée jusqu’à ce jour en Russie. Partout on y trouve ce partage annuel du territoire entre les individus d’une même communauté, soit que cette communauté soit libre, soit qu’elle soit esclave. Dans le premier cas, les produits appartiennent au cultivateur ; dans à second, au seigneur terrien, qui en abandonne quelque chose à ses paysans.

Il était nécessaire d’entrer dans ces détails pour comprendre l’histoire de l’esclavage en Russie. Je ne me charge pas d’expliquer par quelle transition le fils d’un chef devint chef lui-même avant que l’âge eût consacré ses droits sur ses frères ou sur ses égaux. Il est certain qu’à une époque très reculée on trouve en Russie des nobles