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et des paysans. Il semble que le principe d’une noblesse héréditaire fut reconnu plutôt dans le nord de la Russie que dans le sud, et il n’est pas improbable que ce fut une importation étrangère parmi les Slaves. Tandis qu’on voit d’antiques familles princières dans la Moscovie, l’histoire nous montre en même temps dans la Petite-Russie des communautés fondées sur le principe de l’élection. Tels furent les premiers Cosaques du Dnieper, et un peu plus tard ceux du Don et du Volga. Cependant dans la Grande-Russie même, où régnait le système de l’hérédité, le servage n’existait pas avant la fin du XVIe siècle. À la vérité, la loi nationale n’accordait qu’aux seuls nobles le droit de posséder des terres ; mais les paysans étaient libres, et louaient leurs bras à leurs seigneurs selon une convention débattue de gré à gré. D’après un ancien usage, les engagemens, qui n’avaient lieu que pour une année, commençaient et finissaient le jour de la Saint-George, Iourev Den, encore célèbre dans les poésies populaires comme un souvenir de liberté.

Sous le règne d’Ivan IV, surnommé le Terrible, la Russie fit une conquête importante, celle du royaume de Kazan, enlevé aux Tartares et aux Tchérémisses idolâtres. Presque en même temps un capitaine de Cosaques, ancien bandit, Iermak, découvrait et subjuguait la Sibérie. La petite république des Zaporogues florissait dans les îlots du Dnieper. Sur les rives de ce fleuve, sur celles du Don, du Volga et de l’Iaïk, des colonies militaires à peu près indépendantes, qui prenaient le nom d’armées cosaques, possédaient des territoires fertiles et s’enrichissaient par la petite guerre contre leurs voisins musulmans. Aussi l’émigration fut-elle considérable en Russie vers ces grands fleuves où les Cosaques avaient formé leurs établissemens. Le goût de la vie nomade et des aventures est un des caractères du paysan russe. Il aime à changer de demeure aussi bien que de métier, pourvu toutefois qu’il ne quitte pas la sainte Russie, dont il. ne franchit jamais les frontières sans un secret effroi. La vie des Cosaques avait de quoi le séduire : tantôt une culture facile et des pêches abondantes sur de grands fleuves poissonneux, tantôt de rapides expéditions sur terre ou sur mer, dont les privations étaient bien vite oubliées dans d’immenses orgies. Or ces communautés cosaques étaient des asiles, comme Rome autrefois, où tous les aventuriers étaient reçus à bras ouverts. Les paysans polonais s’enfuyaient chez les Zaporogues. Les laboureurs moscovites, au lieu de renouveler leur engagement de la Saint-George, abandonnaient leurs villages pour s’enrôler dans les camps du Don ou du Volga. On put craindre un moment la dépopulation complète du nord de l’empire, et de fait plusieurs localités importantes au commencement du règne d’Ivan IV étaient devenues des déserts, à la mort de ce prince, par l’émigration de tous leurs habitans.