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voisines du Caucase et de la Mer-Caspienne étaient en ce moment même engagés dans une expédition au cœur de la Perse. — N’y aurait-il pas folie, disait-il, à nous engager dans une autre guerre contre l’empire, et à nous jeter ainsi de gaieté de cœur deux pareils ennemis sur les bras ? » Le raisonnement d’Hernakh nous prouve clairement que les nations hunniques continuaient à se regarder comme les membres d’un même corps dans toute l’étendue de leur ancienne confédération, depuis la Mer-Caspienne et le Caucase jusqu’au Danube, et maintenant même jusqu’au pied de l’Hémus. L’influence du jeune fils d’Attila et ses argumens de bon sens entraînèrent la minorité de ses frères, tous ceux probablement qui, habitant comme lui au midi du Danube, se trouvaient directement sous la main de l’empereur ; mais Denghizikh tint bon : il déclara que, si on l’abandonnait, il ferait la guerre à lui seul et saurait la mener à bonne fin. Il mêlait au ressentiment de son injure on ne sait quelle idée de conquête dans les provinces de Mésie ou de Thrace, et même l’espérance de se rendre l’empire romain tributaire. Sa résolution une fois arrêtée, il fit appel aux hordes du Borysthène et du Dnieper ; tout fut bientôt en mouvement dans les plaines de la Mer-Noire, et l’avant-garde d’une puissante armée ne tarda pas à se montrer sur l’Hunnivar.

Le préfet de la rive romaine, commandant général des forces préposées à la défense du bas Danube, était un Goth romanisé nommé Anagaste, dont le père avait été tué au service de l’empire, dans une des guerres contre Attila. Il nourrissait, par suite de cette circonstance, contre la mémoire du roi des Huns et contre toute sa race, une haine qu’il ne dissimulait pas. Inquiet des mouvemens qu’il voyait s’opérer dans l’Hunnivar, il avait fait demander à Denghizikh ce que cela signifiait, s’il avait à se plaindre du gouvernement romain, et en quoi. — Denghizikh ayant dédaigné de répondre, il le somma de déclarer catégoriquement s’il voulait la guerre ou non. Le fils d’Attila, sans se soucier des sommations d’Anagaste, fit partir des ambassadeurs pour Constantinople, afin, disait-il, de s’expliquer directement avec l’empereur. Introduite devant le prince, l’ambassade exposa les griefs du roi des Huns : il ne se contentait plus du droit de commerce avec les Romains ; il lui fallait des terres à sa convenance pour lui et son peuple, sans compter un tribut annuel pour payer son armée. Celui à qui s’adressaient ces réclamations insolentes était l’empereur Léon, dont l’histoire vante le caractère à la fois ferme et équitable. Il répondit froidement aux barbares « qu’il n’accordait de pareilles demandes qu’à ses amis ; que si les Huns se soumettaient à son autorité, il verrait ce qu’il aurait à faire ; qu’il serait charmé, en tout cas, s’ils passaient du rôle d’ennemis à celui d’amis et d’alliés. » Denghizikh n’attendait guère une autre réponse de Léon, et son ambassade n’était qu’une feinte pour endormir les commandans