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l’Amérique dans les premiers siècles qui suivirent la conquête. Enfans déshérités de la famille indienne, qui leur impose de rudes travaux, ils ne reçoivent point le sacrement d’initiation qui confère aux autres castes la seconde naissance dans l’ordre religieux et le droit de bourgeoisie dans l’ordre politique. Les ilotes étaient les çoûdras de la république de Sparte. N’oublions pas que le mot varna (caste), en sanscrit, signifie couleur. Or le brahmane et le guerrier sont en général plus blancs que le vaïcya, lequel à son tour est d’ordinaire moins noir que le çoûdra. Les castes, que l’on peut rigoureusement réduire à trois, représentent donc la race conquérante, les métis et les indigènes.

Au temps des Védas, nous l’avons dit, le régime des castes n’était point établi. Dans un hymne (que l’on peut considérer à la vérité comme moins ancien que les autres), on lit ce vers à propos de Pouroucha, l’âme universelle, le premier être revêtu d’une forme :, Le brahmane a été sa bouche, le roi ses bras, le vaïcya ses cuisses, le çoûdra est né de ses pieds[1]. » Il se peut bien que ce vers ait été intercalé après coup dans un chant védique, car nulle part ailleurs il n’est fait mention du vaïcya et du çoûdra. Au reste, la division des castes serait encore présentée ici sous le voile de l’allégorie. La pensée et la parole sont au-dessus de la force et de la puissance matérielle ; le courage et le dévouement méritent d’être estimés plus que l’industrie et le commerce, la richesse produite par le travail intelligent l’emporte sur l’action vulgaire et machinale. Plus tard, dans le code des lois de Manou, ce mythe sera exprimé sous une forme sentencieuse et dogmatique. Afin que chacune des castes se distingue plus nettement et à première vue, le législateur lui ordonnera même d’inscrire jusque dans son nom le signe qui fait sa gloire ou sa honte. «Que le nom du brahmane (par le premier des deux mots dont ils se compose) exprime la ferveur propice ; celui d’un kchattrya, la puissance ; celui d’un vaïcya, la richesse ; celui d’un çoûdra, l’abjection. » C’est ainsi que s’exprimera la caste sacerdotale par la bouche du législateur, quand elle aura ressaisi le pouvoir que les rois tentèrent plus d’une fois de lui enlever.

Le brahmanisme s’est fait la part du lion dans le partage qu’il établit entre les classes de la société indienne ; mais qui donc, si ce n’est lui, sut donner à cette société la prospérité dont elle a joui durant tant de siècles ? Gardiens jaloux de la loi védique dont ils se sont constitués les interprètes, les brahmanes n’ont cessé de recueillir avec une pieuse sollicitude ces monumens vénérés de leur littérature, qui sont leurs véritables titres de noblesse. Lorsque les

  1. Section VIII, lecture 4, hymne 5.