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L’esprit védique n’a point disparu des lieux où il s’est développé. Les brahmanes se vantent d’être les descendans des poètes et des sages qui ont composé les chants du Rig-Véda, et ils montrent avec orgueil de longues listes généalogiques. On n’est point obligé de croire à l’authenticité de ces papiers de famille ; les brahmanes d’ailleurs ont d’autres titres à la considération, — la connaissance et l’intelligence de cette langue sacrée, vieille de trente siècles. Cependant il n’y a aucune témérité à avancer que les savans indianistes qui ont choisi les Védas pour objet de leurs études les entendent mieux que les pandits les plus habiles de Bénarès. En ces matières, la critique européenne équivaut à la seconde vue. Quand on jette les yeux sur les deux gros volumes du Rig-Véda publiés par M. Max Müller sous les auspices de la compagnie des Indes, on est effrayé de la grandeur de la tâche qu’il s’est imposée[1], et émerveillé de la prodigieuse érudition qu’il y déploie. S’il y a un mérite réel à donner une édition correcte des ouvrages classiques déjà imprimés, s’il y a la preuve d’un talent consommé dans la copie exacte et précise d’une charte du moyen âge, que doit-on penser d’un travail de si longue haleine, où il s’agit de déchiffrer des manuscrits orientaux, et dont la première condition est d’entendre avec une égale supériorité la langue archaïque des Védas et le style souvent obscur des commentateurs ? La direction de l’ouvrage a été confiée à M. H. Wilson, le doyen des indianistes anglais, qui le traduit à mesure que le texte voit le jour. Tandis que le professeur d’Oxford interprétait ainsi le Rig-Véda, en y joignant des notes savantes et nombreuses, M. Langlois, de l’Institut, s’étant mis résolument à l’œuvre, achevait et faisait paraître une traduction française des huit sections qui composent la totalité du recueil des hymnes védiques. Il y avait bien quelque péril à venir le premier, à terminer sa tâche juste au moment où le texte, imprimé avec un long commentaire, allait la rendre moins ardue. Quoi qu’il en soit, la difficulté de l’entreprise semble avoir séduit plutôt qu’effrayé M. Langlois. Sa traduction lui a valu des éloges auxquels les nôtres n’ajouteraient rien. La lecture en est aussi douce qu’attrayante, car l’élégante clarté du style ne laisse pas même soupçonner la peine que ce grand travail a dû coûter à l’auteur. Nous pouvons donc aujourd’hui étudier sans effort dans notre langue les hymnes du Rig-Véda, dont personne encore n’avait entièrement dévoilé le mystère.


THEODORE PAVIE.

  1. L’ouvrage complet ne formera pas moins e huit volumes in-4o, de 900 à 1000 pages chacun, texte et commentaire.