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et en Angleterre. Après avoir suivi avec intérêt dans notre pays les émouvantes péripéties de l’année 1848, il a parcouru l’Europe méridionale. Enfin nous le retrouvons depuis quelques années établi à Londres, montant une imprimerie destinée à lancer sur la Russie toute espèce d’écrits incendiaires ; mais les espérances politiques qu’il avait nourries durant tant d’années sont déçues, et les ennuis de l’exil commencent à se faire sentir. On le reconnaît aux sarcasmes qui débordent de sa plume et à la violence des appels révolutionnaires qu’il adresse à ses compatriotes[1]. Hâtons-nous de le dire, M. Hertzen, quoiqu’il fasse maintenant cause commune avec les ennemis les plus acharnés de son pays, ne saurait être placé sur le même rang que la plupart des écrivains politiques qui s’attachent depuis peu à dénigrer la Russie. Il n’obéit qu’à ses convictions, et ceux mêmes qui le jugent à cet égard avec le plus de sévérité n’hésitent point à lui accorder leur estime, car l’intérêt personnel ou le désir d’égarer l’opinion publique n’entre pour rien dans les actes qu’on lui reproche. Ce n’est point sans un profond regret, nous sommes autorisé à le soupçonner, qu’il se croit obligé, pour rester fidèle à ses principes politiques, de se poser en agitateur vis-à-vis d’un pays où il est né, vers lequel le reporte sans cesse le souvenir des plus belles années de sa vie, et où il compte encore un grand nombre d’amis sincères et dévoués.

Ainsi des études universitaires accomplies surtout sous l’action des doctrines du XVIIIe siècle combinées avec celles de Hegel, plus tard des fonctions administratives qui placent un jeune penseur épris de l’idéal en présence des plus tristes réalités de la vie russe, enfin des années d’exil passées au milieu des agitations révolutionnaires de l’Europe, voilà jusqu’à présent les trois périodes qu’on peut noter dans la vie de M. Hertzen. Comment a pu se former le romancier au milieu de tant de troubles et d’influences contraires ? Nous ne nous bornerons pas à répondre à cette question par l’analyse même des principaux récits de M. Hertzen : nous achèverons le portrait de l’homme en interrogeant les écrits philosophiques et politiques qui portent mieux encore que ses romans l’empreinte des agitations de sa vie.

Les premiers écrits de M. Hertzen remontent à 1842. Il débuta par une série de lettres insérées dans un recueil russe et intitulées : Dilettantism ve naouké (le dilettantisme dans la science). L’auteur

  1. Une sorte d’apaisement semble néanmoins s’être fait depuis peu chez l’écrivain russe. C’est ce que constate un ouvrage de M. Hertzen publié au moment même où nous terminons cette étude, et que nous espérons faire connaître ici même mieux que par une simple analyse. Dans cet ouvrage, M. Hertzen raconte avec une modération digne d’éloges ses années de prison et d’exil. C’est un récit dégagé de toute amertume, et où s’encadrent plusieurs esquisses curieuses de la vie contemporaine en Russie.