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Indépendamment du comité de censure ordinaire, le gouvernement venait encore de créer un bureau de censure militaire qui comptait dans son sein des généraux aides de camp de l’empereur, des lieutenans-généraux, des intendans généraux, des ingénieurs, des artilleurs, des officiers d’état-major et de la suite impériale, des officiers de place, deux moines et un prince tatare, le tout sous la présidence immédiate du ministre de la marine. Ce comité supérieur était chargé d’examiner les livres, les auteurs et même les censeurs ordinaires ; il avait pour guide les règlemens militaires de Pierre Ier et le Monocanon grec. Conformément à l’esprit de ses codes, cette censure de siège fit défense expresse de publier quoi que ce puisse être de ma façon, quand même je traiterais des avantages de la police secrète et de l’absolutisme, ou de l’utilité que présentent le servage, les châtimens corporels et le recrutement. Cet arrêt du haut comité me fit comprendre qu’il n’y avait plus possibilité de tenir la plume en Russie, et que les auteurs n’avaient d’autre parti à prendre que d’écrire hors du pays. »


Les Souvenirs de voyages, que M. Hertzen écrivit à Paris en 1847, sont d’agréables récits qui se rapprochent de ses romans plutôt que de ses essais politiques. Deux petits volumes allemands, dont l’un est intitulé de l’Autre Bord, et le second Lettres de France et d’Italie[1], se détachent au contraire du groupe des œuvres d’imagination, et ils nous placent sur le terrain des luttes contemporaines. Le premier se compose d’une série de fragmens dont les titres sont des plus poétiques ; c’est avant l’orage que l’auteur s’adresse à nous, ou bien c’est une consolation qu’il nous promet, mais rien de plus trompeur. Au lieu de nous décrire dans ces pages quelques scènes romanesques, M. Hertzen ne songe qu’à faire briller la vigueur, la souplesse de son esprit, et c’est à grand renfort de syllogismes qu’il prétend calmer les mystérieuses inquiétudes qui préoccupaient alors tous les penseurs. Ces causeries philosophiques devaient plaire en Allemagne ; elles y furent en effet très bien accueillies. Dans ses Lettres de France et d’Italie, M. Hertzen s’abandonne beaucoup moins à la dialectique ; il ne quitte presque point terre et nous donne le récit émouvant des troubles révolutionnaires qui agitaient alors la France, l’Italie et quelques autres pays. L’exilé russe avait fondé de grandes espérances sur ces événemens, et il déplora avec amertume la triste direction qui leur fut bientôt imprimée.

Des écrits exclusivement politiques suivirent ces études, où le penseur apparaissait encore à côté du tribun. Parmi les écrits de cet ordre que M. Hertzen publia en français, on distingua surtout une lettre fort spirituelle adressée à M. Michelet, en réponse à des assertions erronées émises sur la Russie par le célèbre historien, et un volume qui a pour titre : du Développement des Idées

  1. Ces deux ouvrages, qui ont été traduits d’un manuscrit russe inédit, parurent en 1850.