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révolutionnaires en Russie. Dans ce dernier ouvrage, l’auteur s’efforce de prouver que la Russie est sur un volcan ; mais on peut lui récuser le droit de l’affirmer, comme il le fait, pour deux motifs : c’est d’abord qu’il n’habite point le pays, et ensuite qu’en Russie, comme dans tous les états despotiques, il est absolument impossible de connaître l’opinion publique. Qu’il y ait aujourd’hui en Russie des fermens révolutionnaires, cela n’est point douteux. Depuis que le monde existe, il n’y a point de pays au sein duquel des élémens de cet ordre n’aient sourdement couvé en tout temps, et il en sera toujours ainsi ; mais personne, nous le répétons, et l’auteur moins que tout autre, ne saurait de nos jours avancer rien de précis à cet égard, relativement à la Russie. M. Hertzen n’a pas su se tenir suffisamment en garde contre certaines exagérations propagées par la malveillance ou la crédulité. Est-il bien certain, par exemple, que le nombre des seigneurs russes assassinés annuellement par leurs serfs soit, comme il le rapporte, de soixante à soixante-dix en moyenne ? Nous avons eu l’occasion de vérifier ce chiffre, il y a quelques années, en Russie même, et nous avons pu nous assurer que la moyenne en question était de seize par an. M. Hertzen l’a donc plus que triplée. Ce n’est pas à dire pour cela, bien entendu, que cet essai sur les Idées révolutionnaires en Russie n’ait aucune valeur. Comme dans toutes les autres productions de M. Hertzen, les aperçus profonds et surtout les saillies heureuses ne manquent pas. Ajoutons que le caractère de la race slave et le rôle que la Russie a rempli dans le passé sont également appréciés avec une remarquable justesse ; mais on trouvera sans doute que M. Hertzen est moins digne d’éloge lorsqu’il dépose la plume de l’historien pour prendre la parole en prophète, comme il le fait plus d’une fois. Citons, entre autres prédictions de ce genre, un curieux passage de la dernière édition de ce livre où l’auteur traite, d’une façon qui paraîtra passablement cavalière, la question qui tient aujourd’hui tous les esprits en suspens.


« L’empereur Nicolas peut, exécuteur des hautes œuvres dont le sens lui échappe, humilier à volonté l’arrogance stérile de la France et la majestueuse prudence de l’Angleterre ; il peut déclarer la Porte russe et l’Allemagne moscovite. Nous n’avons pas la moindre pitié pour tous ces invalides ; mais ce qu’il ne peut pas, c’est empêcher qu’une autre ligue ne sa renne derrière lui ; ce qu’il ne peut pas empêcher, c’est que l’intervention russe ne soit le coup de grâce pour tous les monarques du continent, pour toute la réaction, le commencement de la lutte sociale, armée, terrible, décisive.

« Le pouvoir Impérial du tsar ne survivra pas à cette lutte. Vainqueur ou vaincu, il appartient au passé ; il n’est pas russe, il est profondément allemand, allemand byzantinisé : il a donc deux titres à la mort.

« Et nous avons, nous, deux titres à la vie, — l’élément socialiste et la jeunesse.