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terminée. Dans la seconde, nous sommes transportés à ***, et le romancier nous décrit l’existence paisible dont y jouit le jeune ménage pendant quatre ans. L’honnête professeur a un enfant qu’il adore ; rien ne trouble la paix qui règne dans cet intérieur. Les convictions anti-matrimoniales du docteur Kroupof, commensal ordinaire de la maison, sont fortement ébranlées ; mais patience, elles vont recevoir une pleine justification. L’époque des élections de la noblesse est arrivée ; tous les propriétaires des environs accourent dans le chef-lieu du district, et nous assistons à un tableau assez curieux de la vie publique en Russie. La petite ville de ***, si calme ordinairement, devient un foyer d’intrigues dont l’auteur nous dévoile les mystères sans ménagement aucun. Ces rues boueuses, bordées de petites maisons de bois à la porte desquelles on ne rencontrait, il y a quelques jours, que des vieilles femmes se chauffant au soleil, changent complètement d’aspect, et l’on y voit maintenant passer de grotesques équipages escortés d’énormes laquais et traînés par quatre haridelles. Cependant un nouvel arrivé fixe bientôt l’attention générale. C’est un jeune noble, Voldemar Beltsof, qui revient des pays étrangers et dont la mère habite dans les environs. L’extérieur de ce jeune homme est distingué, ses traits sont beaux ; mais un sourire ironique erre perpétuellement sur ses lèvres, et son regard trahit la tristesse et l’ennui. La nuée de fonctionnaires et de seigneurs qui encombrent la ville se presse autour de lui avec une curiosité maligne, ou épie ses moindres actions ; toutes les démarches qu’il fait pour obtenir de ses concitoyens quelque poste de confiance dans l’administration du district sont commentées de mille manières. Il échoue complètement ; les élections sont finies, chacun se retire, et la ville reprend son aspect accoutumé. Seul, Beltsof est obligé de rester ; il a un procès qui exige sa présence au chef-lieu.

Ce Beltsof est le type d’une classe de gentilshommes assez commune en Russie. Après des études tour à tour dirigées vers la littérature, les beaux-arts et la science, il s’est jeté dans la vie dissipée de Saint-Pétersbourg, puis dans ces voyages à travers l’Europe qui sont une des distractions favorites de la noblesse russe. Il est revenu dans son pays ; il voudrait trouver dans la vie active une sorte de refuge contre le scepticisme qu’il a rapporté de ses voyages et qui pèse prématurément sur sa vie. Ses démarches pour obtenir un emploi ont par malheur échoué, et il reste à ***, livré à toutes les tristes inspirations du désœuvrement. Tel est l’homme que le docteur Kroupof a la fatale pensée d’introduire dans le paisible intérieur de ses jeunes amis, un jour qu’il le rencontre plus triste et plus ennuyé que de coutume dans le jardin de la ville.

Cet intérieur modeste et le calme que Beltsof y respire sont