Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur une vieille tour grise est une guérite ; un jeune gars en habit rouge va et vient sur le rempart.

Il joue avec son fusil, qui étincelle au soleil ; il présente l’arme, il couche en joue… Je voudrais que d’un coup de feu il m’étendit raide mort

IV.

Je vais dans la forêt et je pleure. La grive est perchée sur les hautes branches ; elle sautille et chante doucement  : pourquoi es-tu si triste ?

« Les hirondelles, tes sœurs, te le diront, ma mie ; elles ont habité de gracieux petits nids, là où sont les fenêtres de ma bien-aimée. »

V.

La nuit est humide et orageuse, le ciel est sans étoiles. Au fond de la forêt, sous les arbres dont le feuillage retentit, je vais errant en silence.

De loin, une petite lumière brille à la solitaire maison du forestier ; mais la lumière ne m’attirera pas de ce côté  : il fait trop triste là-bas.

La grand’mère aveugle est assise dans son fauteuil de cuir, sinistre, immobile, comme une image de pierre, et ne dit pas un seul mot

Le fils du forestier, garçon aux cheveux roux, va et vient par la maison ; il accroche son fusil à la muraille, et jette avec colère un insolent éclat de rire.

La belle fileuse pleure et mouille le chanvre avec ses lai-mes ; à ses pieds, en gémissant, se blottit le chien de son père.

VI.

Lorsqu’en voyage je rencontrais par hasard la famille de ma bien-aimée, sa petite sœur, son père, sa mère, — ils me reconnaissaient avec joie.

Ils me demandaient de mes nouvelles, et me disaient eux-mêmes aussitôt que je n’avais pas du tout changé, que mon visage seulement était pâle.

Je m’informais des tantes, des cousines, et de maint ennuyeux compagnon, et du petit chien qui aboyait d’une manière ni douce.

Je m’informais aussi de ma bien-aimée, mariée depuis, et l’on me répondait amicalement qu’elle était en couches.

Et amicalement je leur adressais mes félicitations, et j’ajoutais, avec un sourire aimable, qu’on voulût bien la saluer cordialement mille et mille fois de ma part.

la petite sœur s’écriait tout à coup  : Le petit chien si doux si gentil, il a grandi et il est devenu enragé ; on l’a noyé dans le Rhin.