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La nuit était longue, la nuit était froide, les pierres étaient bien froides aussi ; à la fenêtre je vis luire le pâle visage de ma bien-aimée éclairé par les rayons de la lune.

XXVI.

Que me veut cette larme solitaire ? elle me trouble la vue. C’est une larme des anciens jours demeurée là dans mes yeux.

Elle avait bien des sœurs brillantes qui toutes se sont évanouies, évanouies dans la nuit et le vent avec mes souffrances et mes joies.

Hélas ! mon amour lui-même, il s’est dissipé depuis comme un vain souffle. Vieille larme solitaire, évanouis>toi donc aussi à ton tour.

XXVII.

La pâle lune d’automne sort du milieu des nuages ; solitaire et paisible, à côté du cimetière, s’élève la maison du pasteur.

La mère lit la Bible ; le fils a les yeux fixés sur la lampe ; à moitié engourdie de sommeil, la sœur aînée s’étend sur sa chaise ; la plus jeune dit :

— Dieu ! comme on s’ennuie ici ! il faut qu’on enterre quelqu’un pour que nous ayons quelque chose à voir.

La mère répond tout en lisant : — Tu te trompes, il n’est mort que quatre personnes depuis qu’on a enterré ton père, là, près de la porte du cimetière.

La fille aînée bâille. — Je ne veux pas, dit-elle, mourir de faim chez vous ; j’irai demain chez le comte, il est amoureux et riche.

Le fils pousse un éclat de rire. — Il y a trois chasseurs qui vont souvent boire à l’auberge ; ils savent faire de l’or, et ils m’apprendront leur secret.

La mère lui jette sa Bible à la tête, et le livre va frapper son maigre visage. — Tu veux donc, damné, devenir un voleur de grand chemin ?

Ils entendent frapper à la fenêtre et voient une main blanche qui leur fait des signes : c’est le père trépassé qui se tient là dehors dans sa noire robe de prédicateur.

XXVIII.

Il fait un temps affreux ; il pleut, il vente, il neige ; je suis assis à la fenêtre et je regarde dans l’obscurité.

Je vois briller une petite lumière solitaire qui marche lentement ; C’est une vieille femme avec sa petite lanterne qui traverse la rue.

Elle vient, je le soupçonne, d’acheter de la farine, des œufs et du beurre ; elle veut pétrir un gâteau pour sa jeune fille chérie.