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parlement turbulent, un ministère aveuglément obstiné et l’héroïsme de son roi, — vainement averti, par l’Angleterre et par la France, qu’il resterait sans appui étranger, abandonné par tous les gouvernemens italiens, et flanqué de ces deux foyers d’agitation démagogique qui existaient à Florence et à Rome. La masse de l’opinion dans le Piémont répugnait à cette reprise d’hostilités. L’armée, à grand’peine recomposée, avait retrouvé l’habitude de l’obéissance et la discipline, non l’enthousiasme des premiers jours d, la campagne de 1848, ni même la sympathie pour la cause à laquelle on la dévouait encore une fois. Le sentiment triste et résigné du devoir dominait dans ses rangs. Elle allait se battre courageusement, sans espoir, la haine dans le cœur contre les déclamateurs qui la poussaient à des luttes inutiles. Comme pour marquer la défiance de soi-même, et cédant aux criailleries des partis, on appelait un général étranger pour le mettre à la tête des troupes, le général Chrzanowski, homme de talent, mais singulièrement placé dans une guerre d’indépendance, et obligé d’agir à l’improviste avec des élémens qu’il ne connaissait pas, sur un théâtre qui ne lui était pas familier. Les chefs militaires piémontais, accoutumés à se ranger dans le péril autour de la maison de Savoie, pensaient tous ce que disait l’un d’eux quelques instans avant d’aller se faire tuer : « Étant en retraite, je pouvais me dispenser de servir. Vous savez que je n’approuve pas cette guerre ;… mais je désire que tous les parleurs qui nous gouvernent fassent leur devoir comme je saurai remplir le mien. » Le roi lui-même, tout entraîné qu’il fût par son destin, ne se faisait point d’illusions, et peut-être ne cherchait-il qu’une mort héroïque. On racontait à Turin qu’avant de partir pour la campagne, il avait fait préparer une parure de deuil pour la reine, et, dans un dernier entretien avec un de ses amis, il lui disait d’une voix émue : « Adieu, mon cher ami, nous ne nous reverrons que là-haut ! » Chefs et soldats avaient au fond du cœur le sentiment d’un sacrifice inutile en reparaissant sur le Tessin le 20 mars 1849, et en se retrouvant en face de l’armée autrichienne prête à combattre.


IV.

Je ne veux point raconter la campagne de Novare, cette campagne presque aussitôt finie que commencée, et qu’on pourrait justement appeler un drame en trois journées, — la Sforzesca, Mortara et Novare. La catastrophe n’est que le couronnement d’une situation impossible. Si Charles-Albert put se faire encore une suprême illusion, ce fut le 20 mars à midi, heure où expirait le délai fixé par l’armistice, — lorsque, par un soleil éclatant, il franchit le Tessin sur le pont de Buffalora en tête de ses bersaglieri, et salué de leurs dernières acclamations. Trois jours après, le 23, l’armée repliée