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presque intactes dans ces provinces avec le goût des armes, l’esprit de clan et les rivalités des familles. L’Acarnanie surtout est restée le centre du palikarisme et du brigandage. Dans ce pays de montagnes et parmi cette population frontière qui fait penser aux borderers du moyen âge anglais et aux héros de Walter Scott, le brigandage est une maladie qui tient à la configuration des lieux, à des mœurs séculaires, à de vieilles habitudes contractées sous la domination turque, favorisées et pour ainsi dire ennoblies par la lutte de l’indépendance. En Grèce et dans plusieurs parties de la Turquie d’Europe, un chef de brigands conserve aux yeux du peuple le prestige d’un klephte. Quand il rentre dans son village après ses expéditions, on s’empresse, on l’entoure pour écouter le récit de ses aventures. Si un jour on le retrouve devant une cour d’assises accusé de vol, de meurtre et d’incendie, tout le monde le plaint ; on l’excuse, personne ne se présente pour témoigner contre lui : le plus souvent il est acquitté faute de preuves. Le brigandage a disparu du Péloponèse, où les habitans eux-mêmes s’organisèrent en gardes nationales pour l’extirper. Dans la Roumélie au contraire, on a reculé au lieu d’avancer. De 1837 à 1843, le brigandage y avait presque disparu, ce qui prouve que le gouvernement peut le détruire. Depuis lors, les rivalités politiques l’ont ranimé. Dans les luttes électorales, les concurrens l’ont enrôlé à leur service ; on a vu les principaux hommes politiques patroner les bandits, se servir de cette clientèle comme d’un moyen d’influence dans les provinces, et même à Athènes s’entourer d’une garde personnelle de brigands.

Quelles sont donc la nature et l’action du gouvernement dans ce pays, qui a tant à demander encore à l’initiative du pouvoir pour établir sa police et sa sécurité intérieure, et pour développer les élémens de vie et de richesse qu’il possède ? C’est ici qu’il faut toucher aux plaies vives de la Grèce.

On sait que le gouvernement grec est depuis la révolution de septembre 1843 une monarchie représentative, ayant à sa tête un roi, an sénat, une chambre des députés nommée par le suffrage universel. Il serait sans intérêt de revenir aujourd’hui sur les causes et les circonstances de cette révolution, qui a mis fin au régime antérieur du pouvoir royal sans contrôle, et qui a associé la nation au gouvernement. Le roi et la nation ont accepté comme définitive la constitution libérale sortie de la révolution de 1843. Les Hellènes ont depuis lors le gouvernement qui paraît être le mieux adapté à leur génie, à leurs traditions, à leurs coutumes, et cependant ils semblent avoir tout fait pour fausser le mécanisme de ce gouvernement et pour le rendre stérile. Étrange contradiction d’un peuple qui corrompt par son caractère les institutions qui sont le produit naturel de son esprit