Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au pays une paix avantageuse. » Puis il ajouta en montrant le duc de Savoie : « Voici maintenant votre roi. » Ainsi Charles-Albert dénouait de lui-même ce drame de son règne. Il était du reste depuis quelque temps préparé à cette abdication. Il sentait la nécessité de la paix, mais il ne se sentait pas le courage de signer l’abandon de ces espérances à la poursuite desquelles il avait usé une vie qui allait s’éteindre dans un exil volontaire. Son abdication était une sorte de testament militaire.

Charles-Albert se retirait à Oporto, dans le Portugal. Il avait à peine abdiqué, qu’il se hâtait de quitter Novare dans une petite voiture, qui, par une triste ironie de la fortune, portait encore la fière devise de la maison de Savoie : J’attends mon astre ! Il n’en avait pas fini pourtant avec les Autrichiens ; dans la nuit de son départ, il allait se heurter contre un poste d’impériaux, et peu s’en fallut qu’il ne reçût une volée de mitraille. Il se présenta au général autrichien de Thurn sous le nom de comte de Barge qu’il avait pris ; peut-être ne dut-il sa liberté, pour le moment du moins, qu’au sang-froid d’un soldat piémontais qu’on interrogeait, et qui feignit de reconnaître en effet le comte de Barge, bien qu’il eût reconnu le roi. Ce dernier obstacle franchi, Charles-Albert ne s’arrêtait point dans sa course à travers la France et l’Espagne, jusqu’à Oporto. Il avait refusé l’offre de ses plus fidèles serviteurs, qui voulaient le suivre ; la reine elle-même n’avait pu l’accompagner. « C’est un parti pris, répondait-il à toutes les instances ; la vie que j’entends mener, je ne veux la faire partager à personne. » Et quelle était cette vie ? Arrivé à Oporto, il louait pour huit cents francs par an une petite maison aux portes de la ville, avec un jardin, ayant vue sur le fleuve et sur la mer. Il manquait presque de tout d’ailleurs. « Je me suis acheté deux couverts d’argent, écrivait-il ; vous voyez quel luxe ! » Et il ajoutait dans une lettre au comte de Castagnetto : « En ce moment où l’état est accablé des plus cruelles et affreuses charges, je préférerais manger du pain noir tout le reste de mes jours plutôt que l’on pût dire, dans une époque aussi terrible, que je suis venu aggraver ou embarrasser encore, dans un intérêt personnel, les finances de l’état. » Charles-Albert passait son temps à lire des livres d’histoire, de guerre, de voyages. Des députations piémontaises ne tardèrent pas à accourir auprès de lui à Oporto, et il aimait à s’entretenir du passé. « Ma vie a été un roman, disait-il ; je n’ai point été connu… Ah ! l’Italie ne saura jamais tout ce qui a été fait pour elle. » Il se plaignait doucement parfois de tous les obstacles qui lui avaient été suscités. Accablé par l’infortune, il ne désavouait du reste aucune de ses pensées. « La nation, répondait-il avec une sorte d’animation généreuse aux délégués du sénat de Turin, la nation a pu avoir des princes meilleurs