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de leur opposition, à condition que la Grèce ne ferait point un mauvais usage de l’argent qu’elle cherchait à se procurer. Mais dans les pourparlers qui eurent lieu à ce sujet entre les envoyés anglais et français et le ministre grec, M. Païcos, dans un moment d’abandon, laissa échapper un aveu significatif : « Nous ne devons pas tromper plus longtemps, dit-il, les puissances protectrices et leur laisser croire que la Grèce sera jamais en état de payer les intérêts de sa dette. En limitant la Grèce, ainsi qu’elles l’ont limitée, les puissances n’ont produit qu’un avortement. Nous ne pouvons pas vivre tels qu’on nous a faits. Vous ne nous avez pas laissé d’avenir, et mieux vaudrait faire de nous une annexe à la Turquie ou aux Iles Ioniennes. » La nécessité de l’annexion de l’Epire et de la Thessalie était le sous-entendu de cette insinuation. Peu de temps après, à Munich, dans le lieu où les pensées du gouvernement grec devaient être le mieux connues, le ministre du roi de Bavière, M. Von der Pfordten, exprimait plus clairement à l’envoyé anglais, sir John Milbanke, le même désir à travers les mêmes doléances : « La translation de l’Épire et de la Thessalie à la couronne de Grèce, disait le ministre bavarois, ajouterait à sa force et seconderait le développement des ressources du royaume. » Sans cet accroissement de territoire, la Grèce, suivant M. Von der Pfordten, ne serait jamais en état de faire face à ses engagemens[1]. Gagner l’Épire et la Thessalie dans l’ébranlement que la Russie allait imprimer à l’empire turc, telle était la préoccupation manifeste du gouvernement grec, l’espérance à laquelle il allait tout rapporter. La reine Amélie, dont la vive imagination exerce sur le roi Othon et les personnes qui l’entourent une influence à laquelle il est si difficile de résister, avouait avec une imprudente franchise les rêves qui l’entraînaient vers ce mirage. « Qu’a donc voulu l’Europe en créant la Grèce ? disait-elle à un diplomate allemand, lorsque l’on connut le protocole de la conférence de Vienne du 5 décembre ; je supposais que nous étions destinés à voir se grouper autour de nous, pour les raviver, une partie des membres chrétiens de cet immense cadavre. Mais l’Europe est vieille, continuait-elle avec un mélange de dépit et d’enthousiasme. Elle n’a pas compris sa mission et tout ce qu’elle aurait gagné à ne pas laisser la Russie se prononcer seule en faveur des chrétiens. Quant à nous, qui sommes plus jeunes que vous, nous sentons comme on sentait au temps des croisades, et vous ne pouvez nous comprendre. »

Certes l’ambition colorée de sentimens généreux qui faisait briller de telles visions dans l’imagination impatiente d’une reine spirituelle

  1. Sir John Milbanke to the earl of Clarendon. Corresp., no 44.