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et romanesque se comprend facilement ; mais en ce moment c’était la Grèce qui avait surtout besoin d’intelligence. Elle aurait dû comprendre sa situation d’abord et ensuite comment la question était posée par la Russie à l’Europe. La situation de la Grèce, indépendamment des complications européennes, ne justifiait point, nous l’avons montré, ses ambitieuses prétentions. Ce qui manquait à la Grèce, ce n’était point le territoire, c’était le bon gouvernement. Elle avait bien plus à gagner au développement de ses ressources intérieures qu’à une extension de limites géographiques. La corruption envahissant toutes les branches de l’administration, les emplois les plus élevés aux mains des hommes les moins compétens ; point de respect pour les lois, pas de sécurité pour les propriétés et les personnes, le gouvernement constitutionnel devenu un nom dérisoire ; le pays, malgré son indépendance, demeuré dans l’état de stagnation où l’avait laissé la domination musulmane, voilà le triste tableau que présentait la Grèce. Quelle ressource et quel accroissement de force réelle lui aurait apportés dans un tel état l’annexion de deux provinces montagneuses et d’une population à demi barbare et turbulente de trois ou quatre cent mille âmes ? Quel intérêt pouvait avoir l’Europe à doter de deux nouvelles provinces un pays qui s’était montré jusqu’à ce jour à peu près incapable de se gouverner lui-même ? Quel moment d’ailleurs la Grèce choisissait-elle pour demander un démembrement de l’empire turc à son profit ? Justement celui où l’Europe allait défendre par les armes le principe de l’intégrité de l’empire ottoman contre la Russie ! Comment le roi Othon et la reine Amélie, comment la cour de Bavière pouvaient-ils sérieusement penser que l’Europe commencerait cette lutte en se donnant un démenti à elle-même, en défaisant d’une main ce qu’elle allait faire de l’autre ? Il n’y avait plus en présence que deux politiques, celle de l’intégrité de l’empire ottoman, la politique occidentale, celle — du démembrement moral ou matériel de la Turquie, la politique russe. Le roi Othon et la Grèce avaient à choisir entre l’Occident et la Russie. L’alliance avec l’Occident leur commandait une stricte neutralité vis-à-vis de la Turquie ; toute tentative sourde ou avouée sur des provinces turques n’était qu’une diversion favorable à la Russie et les faisait passer dans le camp russe. Mais en se rangeant avec l’Occident, la Grèce sacrifiait-elle cet avenir que M. Païcos reprochait à l’Europe de lui avoir enlevé ? D’abord elle s’assurait le présent. La guerre même allait lui ouvrir des sources de prospérité nouvelle, en donnant à sa marine le commerce du Levant et une part certaine dans le transport de nos troupes et des approvisionnemens de nos armées. Quant à l’avenir, les peuples et les gouvernemens l’obtiennent toujours à la condition de le mériter. Si la Grèce accomplissait