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series intelligentes sur les plus grands noms et les plus grandes choses de la pensée. C’est ainsi que l’auteur des Derniers Bretons est arrivé au bout comme un ouvrier laborieux qui finit sa tâche, et qui n’a jamais eu à rougir de l’usage qu’il a fait de son esprit, de son imagination. Il a donné plus d’une preuve ici même de ce talent distingué, de cette imagination toujours fidèle eu la vérité morale. M. Souvestre était de ceux chez qui l’homme égale l’écrivain et dont l’absence fait mieux encore sentir toutes les qualités. C’est le meilleur éloge qu’on puisse faire de lui, comme aussi c’est le titre au nom duquel il a son rang distinct dans la confusion de la littérature contemporaine.

De ces spectacles littéraires, qu’on revienne maintenant aux spectacles politiques. Au milieu des préoccupations des affaires d’Orient, qui semblent faire à tous les pays une même histoire, il y a un peuple qui a le privilège par momens de se faire une histoire à part, qui, depuis quelque temps, depuis quelques années même, s’agite dans une crise des plus périlleuses : c’est le peuple espagnol. Une insurrection militaire, dont plusieurs généraux ont donné le signal à Madrid, et qui n’est point terminée, vient de rappeler l’attention sur cette crise et de la montrer dans sa gravité. Quelle était la véritable situation de l’Espagne au moment où a éclaté le soulèvement du 28 juin ? Cette situation, par son principe, remonte à quelques mois déjà. La vérité est que, depuis son avènement au pouvoir, le cabinet présidé par le comte de San-Luis a rencontré la plus implacable hostilité. Le président du conseil avait espéré désarmer cette opposition en réunissant les cortès à la fin de l’année dernière ; il n’aboutit qu’à lui fournir une occasion de se manifester plus vivement dans une session de quelques jours, et il finissait par suspendre les chambres. Cependant la situation n’avait fait que s’aggraver. La Péninsule se trouvait dès lors par malheur placée entre un gouvernement obligé de recourir, pour vivre, à tous les moyens d’une autorité dictatoriale et une opposition ulcérée qui cherchait à tout prix à renverser le cabinet. En réalité, l’état de l’Espagne depuis six mois est celui-ci : l’opposition conspire évidemment ; il s’est opéré par degrés un travail sourd de coalition entre tous les mécontens. De son côté, le gouvernement menacé a multiplié les sévérités de la compression ; comme on s’en souvient, il internait, il y a quelques mois, un certain nombre de généraux. Des journalistes, d’anciens ministres même, étaient récemment encore envoyés aux Canaries. Comment, dans une telle situation, les chocs n’éclateraient-ils pas ? C’est ainsi qu’au mois de février la première insurrection militaire se produisait à Saragosse ; mais ce premier mouvement presque aussitôt comprimé manquait de chefs, ou, s’il en avait, la promptitude de la répression ne leur avait pas laissé le temps de se montrer. L’insurrection récente de Madrid s’est présentée dans des conditions plus graves ; elle avait ses chefs, elle a eu immédiatement des moyens puissans, presque une armée à son service. Le gouvernement soupçonnait quelque complot. Ce qu’il ne soupçonnait pas, c’est qu’un des principaux instrumens de ce complot était un de ses fonctionnaires les plus élevés, le général Dulce, directeur du service de la cavalerie. C’est le 28 juin au matin que le général Dulce, sous prétexte d’une revue, a conduit une partie de la garnison hors de Madrid. Là s’est présenté le véri-