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blessé, est au moins amolli. « L’âme est attirée du dedans au dehors, où elle avait déjà tant d’inclination à se répandre.., et on apprend ainsi deux choses également funestes : l’une à s’ennuyer de tout ce qui est sérieux, et par conséquent de tous ses devoirs ; l’autre à trouver cet ennui insupportable, et à en chercher le remède dans la dissipation. Le premier de ces désordres est un obstacle à toutes les vertus, et le second est une entrée à tous les vices[1]. »

Nous venons de voir dans les Pensées de Nicole tous les argumens que l’on peut employer contre le théâtre. Ces argumens n’ont plus besoin que d’être animés par l’éloquence de Bossuet et de Rousseau. C’est en 1694 que Bossuet écrivit sa lettre au père Caffaro, et ses maximes et réflexions sur la comédie. Le père Caffaro n’était pas un moraliste relâché ou un mauvais prêtre ; c’était un casuiste, et qui avait sur les degrés du péché qu’on fait en allant au spectacle les principes de l’école des casuistes. Habitués en effet à poser des cas et des espèces pour toutes les fautes de la conscience humaine, les casuistes imaginaient une comédie qui ne serait ni immorale ni corruptrice, au besoin même des pièces saintes, et, se demandant si c’était un péché d’assister à de parelles représentations, ils répondaient que non. Comme directeurs des consciences et tenus de prendre en considération les intentions de l’homme, ils avaient raison ; comme apôtres et comme ministres de la règle évangélique, ils avaient tort, parce qu’ils affaiblissaient la loi et paraissaient l’accommoder aux faiblesses du cœur humain. Bossuet écrivit donc au père Caffaro, et exigea de lui une rétractation de la dissertation qu’il avait publiée sur la comédie. Celui-ci s’empressa de la donner, et la doctrine générale de l’église contre le théâtre ne fut affaiblie par aucune mollesse et aucune condescendance. Cependant l’école des casuistes continua à maintenir la distinction qui lui était chère entre les bons et les mauvais spectacles, entre les bonnes et les mauvaises pièces. Cette distinction entre le bon et le mauvais usage du théâtre fait le fond du discours du père Porée en 1733. Le père Porée avait le droit d’aimer et de défendre le théâtre ; il a fait des tragédies que Voltaire, son élève, a imitées, et des comédies pleines de franche gaieté et de bonne morale. Aussi, dans son discours prononcé au collège Louis le Grand devant les cardinaux de polignac et de Bissy et devant le nonce du pape, il n’hésita pas à poser hardiment la question : le théâtre peut-il être une école capable de former les mœurs ? « Par sa nature, répond-il, il peut l’être ; par notre faute, il ne l’est pas. » Le père Porée, on le voit, est déjà plus hardi dans la défense du théâtre que ne l’était Boileau, puisque Boileau

  1. Essais de morale, t. V, p. 376.