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prétendait seulement que la poésie dramatique est indifférente par elle-même, et que le père Porée croit que le théâtre peut être école de mœurs. « Je traiterai cette matière, continue Porée, comme théologien, je n’en prends point ici le caractère ; non comme censeur, je n’ai point cette autorité ; non pas même comme philosophe, les subtilités philosophiques conviennent peu à un discours sur le théâtre ; je parlerai toutefois en homme qui cherche le vrai, pour lequel j’avoue ma passion, en citoyen, puisqu’on doit toujours l’être, et en chrétien, puisqu’on ne doit jamais en oublier les devoirs[1]. »

Dans la première partie de son discours, le père Porée prouve que le théâtre peut et doit être une école de bonnes mœurs, et il place la poésie dramatique au-dessus de la philosophie et au-dessus de l’histoire. Il allègue, en faveur du théâtre épuré qu’il conçoit et qu’il justifie, saint Charles Borromée, qui revoyait lui-même les pièces de théâtre qu’on représentait à Milan de son temps ; Richelieu, « qui donnait à la réforme et à la perfection de la scène des jours qu’il dérobait aux affaires de la guerre, de l’église et de l’état ; » Esther et Athalie, que Racine faisait pour l’éducation des demoiselles de Saint-Cyr ; les pièces enfin que les jésuites faisaient jouer à leurs élèves et que venaient entendre les plus grands personnages de l’église et de l’état[2]. Dans son zèle pour le théâtre, le père Porée justifie même l’opéra, « l’opéra, il est vrai, avec un poème vertueux, des vers coulans, mais pleins de pensées, une musique mâle et agréable, des danses à la fois aisées et sévères, légères et modestes ; l’opéra enfin réunissant l’utile à l’agréable pour insinuer dans les cœurs le pur amour de la vertu. » Ce programme d’un opéra pur et vertueux, tel que le propose le père Porée, mérite d’être pris en considération par la commission qui vient d’être chargée de surveiller l’administration de l’Opéra.

Le père Porée s’attend à une objection, et il se la fait d’avance : si le théâtre peut être une si bonne école de mœurs, d’où vient que tant d’hommes pieux et savans condamnent absolument le théâtre ? Ils condamnent le théâtre tel qu’il est, et non le théâtre tel qu’il pourrait être. « Il y a des choses indifférentes de leur nature que l’on peut rendre bonnes ou mauvaises, et que notre perversité rend presque toujours vicieuses. » Alors Porée examinée notre théâtre, et il le juge sévèrement ; il reproche à la tragédie française de s’être jetée dans la galanterie, manquant en cela aux règles de la morale comme

  1. Je me sers de la traduction que le père Brumoy fit du discours du père Porée. En traduisant ce discours, le père Brumoy donnait une nouvelle preuve de la persévérance des jésuites dans la doctrine des casuistes sur le théâtre.
  2. Monseigneur l’archevêque de Paris vient de faire jouer une pièce de Plaute par les élèves de son petit séminaire, qui, dit-on même, l’ont très bien jouée.