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le devoir rempli de notre mieux, c’est-à-dire par acquit de conscience ou par obéissance à la loi, mais le devoir rempli de tout cœur, avec un dévouement qui s’ignore et qui par conséquent se renouvelle tous les jours. Il y a plus : à ce bon et honnête bourgeois qui est si heureux d’être père, et à ces enfans qui embrassent si gaiement leur père, je permets, en dépit de Rousseau, d’aller un jour au Théâtre-Français voir jouer Monsieur de Pourceaugnac ou le Malade imaginaire, non pour qu’ils se consolent de leur mieux des tracas de la famille, mais pour qu’ils rient ensemble (la joie des enfans sous les yeux du père et de la mère est bonne à l’âme), pour qu’ils continuent au théâtre les rires de la table domestique, et surtout pour qu’ils montrent que partout où va la famille, elle y transporte sa joie pure et saine, ses plaisirs honnêtes et naturels. Je suis disposé à croire aux dangers du théâtre ; mais j’y crois surtout pour ceux qui y vont seuls. Je ne crains pas beaucoup la loge du père de famille ; je crains la stalle de balcon.

Les amusemens du théâtre ne sont pas seulement, selon d’Alembert, des remèdes contre l’ennui de nos devoirs ; ce sont aussi, selon ce philosophe, des leçons déguisées. L’homme va au théâtre, croyant s’amuser des défauts du prochain ; il s’y corrige des siens. Telle était la prétention des philosophes du XVIIIe siècle, et le père Porée lui-même a quelque chose de cette doctrine. Comme on ne savait plus amuser le public, on prétendait l’instruire et on attribuait à la comédie un mérite qu’elle ne doit pas avoir, afin de remplacer le mérite qu’elle n’avait plus. Rousseau raille et réfute fort spirituellement cette prétention. « Nos auteurs modernes, guidés par de bonnes intentions, font des pièces plus épurées ; aussi qu’arrive-t-il ? Qu’elles n’ont plus de vrai comique et ne produisent aucun effet. Elles instruisent beaucoup si l’on veut, mais elles ennuient encore davantage. Autant vaudrait aller au sermon[1]. » Rousseau croit que les comédies du XVIIIe siècle ennuyaient, parce qu’elles défendaient la morale au lieu de l’attaquer ; je crois qu’il y a d’autres raisons, mais il a grande raison de dire que ce qui ennuie n’instruit pas : l’ennui ne sert qu’au mal, il corrompt par les pensées qu’il suggère, au lieu d’édifier par le calme qu’il apporte.

Le second reproche que Nicole fait au théâtre, c’est d’exciter les Passions en les représentant. Le spectacle des passions humaines luttant les unes contre les autres ou remplacées par une passion dominante qui ne rencontre d’obstacles que ce qu’il en faut pour l’animer à la victoire, ce spectacle excite les passions plus qu’il ne

  1. Tome III, page 133.