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pour elles toutes les autres. Quiconque la leur accorde, et surtout quiconque semble la leur accorder malgré lui-même, est de leur église, eût-il cent défauts insupportables, de même que quiconque la leur refuse, eût-il cent bonnes qualités, est à l’instant même excommunié. Les hommes que les femmes détestent le plus ne sont pas ceux qui les battent, mais ceux qui les jugent ; non pas ceux qui les censurent, mais ceux qui même les admirent sans les aimer. Pour elles, la foi sans l’amour est un péché mortel Elles ont raison.

La meilleure partie de la Lettre sur les spectacles et la plus forte assurément est le tableau que fait Rousseau de l’homme et de la femme du monde et les réflexions qu’il attache à ce tableau : « Les deux sexes, dit-il avec beaucoup de sagacité et de gravité, doivent se rassembler quelquefois et vivre ordinairement séparés. Je l’ai dit tantôt par rapport aux femmes ; je le dis maintenant par rapport aux hommes… Ne voulant plus souffrir de séparation, faute de pouvoir se rendre hommes, les femmes nous rendent femmes… Lâchement dévoués aux volontés du sexe que nous devrions protéger et non servir, nous avons appris à le mépriser en lui obéissant, à l’outrager par nos soins railleurs, et chaque femme de Paris rassemble dans son appartement un sérail d’hommes plus femmes qu’elle, qui savent rendre à la beauté toutes sortes d’hommages, hors celui du cœur dont elle est digne… Au lieu de gagner à ces usages, les femmes y perdent. On les flatte sans les aimer, on les sert sans les honorer : elles sont entourées d’agréables, mais elles n’ont plus d’amans… Il faudrait avoir d’étranges idées de l’amour pour en croire capables ces complimenteurs de boudoir, et rien n’est plus éloigné de son ton que celui de la galanterie. De la manière que je conçois cette passion terrible, son trouble, ses égaremens, ses palpitations, ses transports, ses brûlantes expressions, son silence plus énergique, ses inexprimables regards, que leur timidité rend téméraires et qui montrent les désirs par la crainte, il me semble qu’après un langage aussi véhément, si l’amant venait à dire une fois : Je vous aime, l’amante indignée lui dirait : Vous ne m’aimez plus, et ne le reverrait de la vie. »

Quelle sévérité contre les mœurs et les habitudes du temps ! mais surtout comme l’amour est opposé à la galanterie ! et c’est là ce qui charmait les femmes, parce que plus Rousseau ôtait à la galanterie, plus il rendait à l’amour ; plus il détruisait le cérémonial du faux monde amoureux, plus il refaisait le véritable culte des femmes. Les femmes ne se trompaient donc pas en trouvant leur apothéose dans les censures du moraliste ; elles comprenaient et aimaient sa colère, puisque Rousseau ne s’irritait que parce que la femme, de dieu qu’elle était, s’était laissée faire idole.

Ainsi dans cette Lettre sur les spectacles, Rousseau ne traite pas