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sa fille, cette brave dame m’a toujours traité comme son enfant. Que de fois, en hiver ou les jours de mauvais temps, ne sommes-nous pas restés des journées presque entières à causer de cette pauvre demoiselle ! Mais Nanette, elle, ne m’a jamais pardonné. Un ou deux jours avant sa mort, elle m’a encore accablé de malédictions : je n’y pense jamais sans un peu de trouble dans la conscience.

Que vous dirai-je encore ? Touché de mon repentir, mon maître m’avait rendu ses vignes ; j’ose dire que je les ai travaillées fidèlement. On m’appelle sauvage. Le fait est que j’ai toujours peu recherché les gens, et surtout depuis mes chagrins : j’aime mieux être seul pour pouvoir penser à mon aise à cette bonne demoiselle ; mais je n’ai jamais eu d’inimitié contre personne. De bons partis m’ont été proposés, si je voulais m’établir ; j’ai refusé net : ne suis-je pas fiancé à Mlle Élisa ? Dieu merci, je n’ai plus longtemps à être sans elle. Il y a quelques nuits, je l’ai vue en rêve. — Tiens-toi prêt, Jean-Denis, m’a-t-elle dit ; il ne nous reste plus que peu de jours à être séparés. — Ainsi à la volonté de Dieu ! Je n’ose pas dire que je ne crains pas la mort ; mais notre bon curé m’a dit bien des fois que j’avais réparé suffisamment mes scandales, et que le bon Dieu aurait égard à mon repentir. Puisse-t-il en être ainsi et Mlle Élisa m’être bientôt rendue !

Jean-Denis avait cessé de parler. Il ne pleuvait plus depuis longtemps ; la nuit commençait à venir : nous ne nous en étions aperçus ni l’un ni l’autre. — Oh ! oh ! dit le bon vigneron en mettant la tête hors de la baraque de pierre, déjà la nuit ! Il paraît que mon histoire n’a pas été courte ; tant pis pour vous. Vous avez été curieux : vous avez fait en même temps le péché et la pénitence. — Je lui assurai que je ne regrettais en aucune façon le temps employé à l’entendre, et nous reprîmes le chemin de la ville.

Depuis ce jour-là, ayant dû m’absenter, je n’ai retrouvé Jean-Denis qu’une fois : il avait le drap noir sur le corps.

Charles Toubin.