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loyal face à face au meurtre par surprise. S’il met du reste en deuil quelques familles, il ne leur lègue pas du moins, comme la vendetta, le point d’honneur douteux des éternelles représailles.

La vendetta est donc individuelle ou générale, selon que les intérêts lésés sont eux-mêmes individuels ou généraux. Si, pour une cause quelconque, il y a eu mort d’homme dans une tribu du fait d’un chef ou même d’un subalterne d’une tribu voisine, le meurtrier peut, en payant la dia (le prix du sang) aux héritiers de la victime, éteindre légalement l’affaire. La dia, c’est le Wehrgeld des Germains, avec cette différence qu’en outre de son caractère de légalité elle a pris chez les Arabes, dès son origine même, un caractère religieux.

Au dire des tolbas, elle remonterait à l’aïeul de Mohamed, Abd-el-Mettaleb, et serait la cause indirecte de la naissance du prophète. Abd-el-Mettaleb, chef de la tribu des Koréischites, n’avait pas d’enfant, et dans son désespoir il fit cette prière à son Dieu : « Seigneur, si vous me donnez dix garçons, je jure de vous en immoler un en action de grâces. » Dieu l’entendit et le fit père dix fois. Abd-el-Mettaleb, fidèle à son vœu, remit au sort à décider quelle serait la victime, et le sort choisit Abd-Allah ; mais la tribu s’élevant contre ce sacrifice, il fut décidé par les chefs qu’au lieu d’Abd-Allah, dix chameaux seraient mis pour enjeu, que le sort serait de nouveau consulté jusqu’à ce qu’il se prononçât pour l’enfant, et qu’autant de fois qu’il se prononcerait contre lui, dix chameaux seraient ajoutés aux premiers. Abd-Allah ne fut racheté qu’à la onzième épreuve, et cent chameaux furent immolés à sa place. Quelque temps après. Dieu manifesta qu’il avait accueilli favorablement cet échange, car d’Abd-Allah il fit naître Mohamed, son prophète, et depuis cette époque la dia, le prix du sang d’un Arabe, fut fixée à cent chameaux. On conçoit cependant que ce prix élevé subit des modifications selon les circonstances.

Il est presque sans exemple qu’un meurtrier qui a payé la dia soit autrement poursuivi, et que les parens du mort, ses enfans même, n’acceptent pas franchement cette satisfaction ; mais s’il est trop pauvre pour la payer, ou si le gouvernement a jugé à propos de se saisir de l’affaire, il est condamné à la peine du talion : œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie. Quand j’étais consul de France à Mascara, auprès de l’émir Abd-el-Kader, en 1837, j’ai eu la triste occasion que voici, de voir appliquer la peine du talion dans toute sa rigueur.

Deux enfans s’étant pris de querelle dans la rue, leurs pères intervinrent, et d’injures en menaces, s’animant peu à peu, l’un d’eux dégaina son couteau et en frappa son adversaire, qui tomba mort. Il